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terres Magellaniques, et en si grande quantité dans les îles Antilles, que, au-dessous de la terre labourable, le fond, que les habitants appellent la chaux, n’est autre chose qu’un composé de coquilles, de madrépores, d’astroïtes et d’autres productions de la mer. Ces observations, qui sont certaines, m’auraient fait penser qu’il y a de même des coquilles et d’autres productions marines pétrifiées dans la plus grande partie du continent de l’Amérique, et surtout dans les montagnes, comme l’affirme Woodward ; cependant, M. de La Condamine, qui a demeuré pendant plusieurs années au Pérou, m’a assuré qu’il n’en avait pas vu dans les Cordillères, qu’il en avait cherché inutilement, et qu’il ne croyait pas qu’il y en eût. Cette exception serait singulière, et les conséquences qu’on en pourrait tirer le seraient encore plus ; mais j’avoue que, malgré le témoignage de ce célèbre observateur, je doute encore à cet égard, et que je suis très porté à croire qu’il y a dans les montagnes du Pérou, comme partout ailleurs, des coquilles et d’autres pétrifications marines, mais qu’elles ne se sont pas offertes à ses yeux. On sait qu’en matière de témoignages, deux témoins positifs, qui assurent avoir vu, suffisent pour faire preuve complète, tandis que mille et dix mille témoins négatifs, et qui assurent seulement n’avoir pas vu, ne peuvent que faire naître un doute léger ; c’est par cette raison, et parce que la force de l’analogie m’y contraint, que je persiste à croire qu’on trouvera des coquilles sur les montagnes du Pérou, comme on en trouve presque partout ailleurs, surtout si on les cherche sur la croupe de la montagne et non au sommet.

Les montagnes les plus élevées sont ordinairement composées, au sommet, de roc vif, de granit, de grès et d’autres matières vitrifiables, qui ne contiennent que peu ou point de coquilles. Toutes ces matières se sont formées dans les couches du sable de la mer qui recouvraient le dessus de ces montagnes ; lorsque la mer a laissé à découvert ces sommets de montagnes, les sables ont coulé dans les plaines, où ils ont été entraînés par la chute des eaux des pluies, etc., de sorte qu’il n’est demeuré au-dessus des montagnes que les rochers qui s’étaient formés dans l’intérieur de ces couches de sable. À 200, 300 ou 400 toises plus bas que le sommet de ces montagnes, on trouve souvent des matières toutes différentes de celles du sommet, c’est-à-dire des pierres, des marbres et d’autres matières calcinables, lesquelles sont disposées par couches parallèles, et contiennent toutes des coquilles et d’autres productions marines ; ainsi il n’est pas étonnant que M. de La Condamine n’ait pas trouvé de coquilles sur ces montagnes, surtout s’il les a cherchées dans les lieux les plus élevés et dans les parties de ces montagnes qui sont composées de roc vif, de grès ou de sable vitrifiable ; mais, au-dessous de ces couches de sable et de ces rochers qui font le sommet, il doit y avoir dans les Cordillères, comme dans toutes les autres montagnes, des couches horizontales de pierre, de marbre, de terre, etc., où il se trouvera des coquilles ; car, dans tous les pays du monde où l’on a fait des observations, on en a toujours trouvé dans ces couches.

Mais supposons un instant que ce fait soit vrai, et qu’en effet il n’y ait aucune production marine dans les montagnes du Pérou, tout ce qu’on en conclura ne sera nullement contraire à notre théorie, et il pourrait bien se faire, absolument parlant, qu’il y ait sur le globe des parties qui n’aient jamais été sous les eaux de la mer, et surtout des parties aussi élevées que le sont les Cordillères ; mais, en ce cas, il y aurait de belles observations à faire sur ces montagnes ; car elles ne seraient pas composées de couches parallèles entre elles, comme toutes les autres le sont : les matières seraient aussi fort différentes de celles que nous connaissons ; il n’y aurait point de fentes perpendiculaires, la composition des rochers et des pierres ne ressemblerait point du tout à la composition des rochers et des pierres des autres pays, et enfin nous trouverions dans ces montagnes l’ancienne structure de la terre telle qu’elle était originairement et avant que d’être changée et altérée par le mouvement des eaux ; nous verrions dans ces climats le premier état du globe, les matières anciennes dont il était composé, la forme, la liaison et l’ar-