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profondeur est fort petite, comme dans les fleuves, où les rivages élevés annoncent toujours beaucoup de profondeur, et où les grèves et les bords de niveau montrent ordinairement un gué, ou du moins une profondeur médiocre.

Il est encore plus aisé de mesurer la hauteur des montagnes que de sonder les profondeurs des mers, soit au moyen de la géométrie pratique, soit par le baromètre ; cet instrument peut donner la hauteur d’une montagne fort exactement, surtout dans les pays où sa variation n’est pas considérable, comme au Pérou et sous les autres climats de l’équateur : on a mesuré par l’un ou l’autre de ces moyens la hauteur de la plupart des éminences qui sont à la surface du globe ; par exemple, on a trouvé que les plus hautes montagnes de Suisse sont élevées d’environ seize cents toises au-dessus du niveau de la mer plus que le Canigou, qui est une des plus hautes des Pyrénées. (Voyez l’Hist. de l’Acad., 1708, page 24.) Il paraît que ce sont les plus hautes de toute l’Europe, puisqu’il en sort une grande quantité de fleuves qui portent leurs eaux dans différentes mers fort éloignées, comme le Pô qui se rend dans la mer Adriatique, le Rhin qui se perd dans les sables en Hollande, le Rhône qui tombe dans la Méditerranée, et le Danube, qui va jusqu’à la mer Noire. Ces quatre fleuves, dont les embouchures sont si éloignées les unes des autres, tirent tous une partie de leurs eaux du mont Saint-Gothard et des montagnes voisines, ce qui prouve que ce point est le plus élevé de l’Europe.

Les plus hautes montagnes de l’Asie sont le mont Taurus, le mont Imaüs, le Caucase et les montagnes du Japon : toutes ces montagnes sont plus élevées que celles de l’Europe ; celles d’Afrique, le grand Atlas et les monts de la Lune, sont au moins aussi hautes que celles de l’Asie, et les plus élevées de toutes sont celles de l’Amérique méridionale, surtout celles du Pérou, qui ont jusqu’à 3 000 toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer. En général, les montagnes, entre les tropiques, sont plus élevées que celles des zones tempérées, et celles-ci plus que celles des zones froides, de sorte que plus on approche de l’équateur, et plus les inégalités de la surface de la terre sont grandes ; ces inégalités, quoique fort considérables par rapport à nous, ne sont rien quand on les considère par rapport au globe terrestre. Trois mille toises de différence sur trois mille lieues de diamètre, c’est une toise sur une lieue, ou un pied sur deux mille deux cents pieds, ce qui, sur un globe de deux pieds et demi de diamètre, ne fait pas la sixième partie d’une ligne ; ainsi la terre, dont la surface nous paraît traversée et coupée par la hauteur énorme des montagnes et par la profondeur affreuse des mers, n’est cependant, relativement à son volume, que très légèrement sillonnée d’inégalités si peu sensibles, qu’elles ne peuvent causer aucune différence à la figure du globe.

Dans les continents, les montagnes sont continues et forment des chaînes ; dans les îles, elles paraissent être plus interrompues et plus isolées, et elles s’élèvent ordinairement au-dessus de la mer en forme de cône ou de pyramide, et on les appelle des pics : le pic de Ténériffe, dans l’île de Fer, est une des plus hautes montagnes de la terre, elle a près d’une lieue et demie de hauteur perpendiculaire au-dessus du niveau de la mer ; le pic de Saint-Georges, dans l’une des Açores, le pic d’Adam dans l’île de Ceylan sont aussi fort élevés. Tous ces pics sont composés de rochers entassés les uns sur les autres, et ils vomissent, à leur sommet, du feu, des cendres, du bitume, des minéraux et des pierres ; il y a même des îles qui ne sont précisément que des pointes de montagnes, comme l’île Sainte-Hélène, l’île de l’Ascension, la plupart des Canaries et des Açores, et il faut remarquer que, dans la plupart des îles, des promontoires et des autres terres avancées dans la mer, la partie du milieu est toujours la plus élevée, et qu’elles sont ordinairement séparées en deux par des chaînes de montagnes qui les partagent dans leur plus grande longueur, comme en Écosse le mont Grans-Bain qui s’étend d’orient en occident et partage l’île de la Grande-Bretagne en deux parties ; il en est de même des îles de Sumatra, de Luçon, de Bornéo, de Célèbes, de Cuba et de Saint-Domingue, et aussi de l’Italie, qui est