Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grands bâtiments n’y sont pas d’usage pour la navigation, parce qu’elle est peu profonde et semée de bancs et d’écueils au-dessous de la surface de l’eau : voici ce qu’en dit Pietro della Valle, tome III, page 235 : « Les plus grands vaisseaux que l’on voit sur la mer Caspienne le long des côtes de la province de Mazande en Perse, où est bâtie la ville de Ferhabad, quoiqu’ils les appellent navires, me paraissent plus petits que nos tartanes ; ils sont fort hauts de bord, enfoncent peu dans l’eau, et ont le fond plat ; ils donnent aussi cette forme à leurs vaisseaux, non seulement à cause que la mer Caspienne n’est pas profonde à la rade et sur les côtes, mais encore parce qu’elle est remplie de bancs de sables, et que les eaux sont basses en plusieurs endroits ; tellement que si les vaisseaux n’étaient fabriqués de cette façon, on ne pourrait pas s’en servir sur cette mer. Certainement je m’étonnais, et avec quelque fondement, ce me semble, pourquoi ils ne péchaient à Ferhabad que des saumons qui se trouvent à l’embouchure du fleuve, et de certains esturgeons très mal conditionnés, de même que de plusieurs autres sortes de poissons qui se rendent à l’eau douce et qui ne valent rien ; et comme j’en attribuais la cause à l’insuffisance qu’ils ont en l’art de naviguer et de pêcher, ou à la crainte qu’ils avaient de se perdre s’ils péchaient en haute mer, parce que je sais d’ailleurs que les Persans ne sont pas d’habiles gens sur cet élément, et qu’ils n’entendent presque pas la navigation, le cham d’Esterabad qui fait sa résidence sur le port de mer, et à qui par conséquent les raisons n’en sont pas inconnues, par l’expérience qu’il en a, m’en débita une, savoir, que les eaux sont si basses à 20 et 30 milles dans la mer, qu’il est impossible d’y jeter des filets qui aillent au fond, et d’y faire aucune pêche qui soit de la conséquence de celle de nos tartanes ; de sorte que c’est par cette raison qu’ils donnent à leurs vaisseaux la forme que je vous ai marquée ci-dessus, et qu’ils ne les montent d’aucune pièce de canon, parce qu’il se trouve fort peu de corsaires et de pirates qui courent cette mer. »

Struys, le P. Avril et d’autres voyageurs ont prétendu qu’il y avait dans le voisinage de Kilan deux gouffres où les eaux de la mer Caspienne étaient englouties, pour se rendre ensuite par des canaux souterrains dans le golfe Persique ; De Fer et d’autres géographes ont même marqué ces gouffres sur leurs cartes ; cependant ces gouffres n’existent pas, les gens envoyés par le czar s’en sont assurés. (Voyez les Mém. de l’Acad. des Sciences, année 1721.) Le fait des feuilles de saule qu’on voit en quantité sur le golfe Persique, et qu’on prétendait venir de la mer Caspienne, parce qu’il n’y a pas de saule sur le golfe Persique, étant avancé par les mêmes auteurs, est apparemment aussi peu vrai que celui des prétendus gouffres, et Gemelli-Careri, aussi bien que les Moscovites, assure que ces gouffres sont absolument imaginaires : en effet, si l’on compare l’étendue de la mer Caspienne avec celle de la mer Noire, on trouvera que la première est de près d’un tiers, plus petite que la seconde, que la mer Noire reçoit beaucoup plus d’eau que la mer Caspienne, que par conséquent l’évaporation suffit dans l’une et dans l’autre pour enlever toute l’eau qui arrive dans ces deux lacs, et qu’il n’est pas nécessaire d’imaginer des gouffres dans la mer Caspienne plutôt que dans la mer Noire.

Il y a des lacs qui sont comme des mares qui ne reçoivent aucune rivière, et desquels il n’en sort aucune ; il y en a d’autres qui reçoivent des fleuves, et desquels il sort d’autres fleuves, et enfin d’autres qui seulement reçoivent des fleuves. La mer Caspienne et le lac Aral sont de cette dernière espèce ; ils reçoivent les eaux de plusieurs fleuves et les contiennent ; la mer Morte reçoit de même le Jourdain, et il n’en sort aucun fleuve. Dans l’Asie Mineure, il y a un petit lac de la même espèce qui reçoit les eaux d’une rivière dont la source est auprès de Cogni, et qui n’a, comme les précédents, d’autre voie que l’évaporation pour rendre les eaux qu’il reçoit : il y en a un beaucoup plus grand en Perse, sur lequel est située la ville de Marago ; il est de figure ovale et il a environ 10 ou 12 lieues de longueur sur 6 ou 7 de largeur : il reçoit la rivière de Tauris qui n’est