Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/266

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tout du Volga, qui a plus de 70 embouchures dans la mer Caspienne, du Danube, qui en a 7 dans la mer Noire, etc.

Comme il pleut très rarement en Égypte, l’inondation régulière du Nil vient des torrents qui y tombent, dans l’Ethiopie ; il charrie une très grande quantité de limon, et ce fleuve a non seulement apporté sur le terrain de l’Égypte plusieurs milliers de couches annuelles, mais même il a jeté bien avant dans la mer les fondements d’une alluvion qui pourra former avec le temps un nouveau pays car on trouve avec la sonde, à plus de vingt lieues de distance de la côte, le limon du Nil au fond de la mer, qui augmente tous les ans. La Basse-Égypte, où est maintenant le Delta, n’était autrefois qu’un golfe de la mer. (Voyez Diodore de Sicile, lib. iii. Aristote, liv. ier des Météores, chap. xiv. Hérodote, §§ 4, 5, etc.) Homère nous dit que l’île de Pharos était éloignée de l’Égypte d’un jour et d’une nuit de chemin, et l’on sait qu’aujourd’hui elle est presque contiguë. Le sol, en Égypte, n’a pas la même profondeur de bon terrain partout ; plus on approche de la mer et moins il y a de profondeur ; près des bords du Nil il y a quelquefois trente pieds et davantage de profondeur de bonne terre, tandis qu’à l’extrémité de l’inondation il n’y a pas sept pouces. Toutes les villes de la Basse-Égypte ont été bâties sur des levées et sur des éminences faites à la main. (Voyez le Voyage de M. Shaw, vol. II, p. 185 et 186.) La ville de Damiette est aujourd’hui éloignée de la mer de plus de dix milles ; et du temps de saint Louis, en 1243, c’était un port de mer. La ville de Fooah, qui était il y a trois cents ans à l’embouchure de la branche Canopique du Nil, en est présentement à plus de sept milles de distance : depuis quarante ans, la mer s’est retirée d’une demi-lieue de devant Rosette, etc. (Idem, p. 173 et 188.)

Il est aussi arrivé des changements à l’embouchure de tous les grands fleuves de l’Amérique, et même de ceux qui ont été découverts nouvellement. Le P. Charlevoix, en parlant du fleuve Mississipi, dit qu’à l’embouchure de ce fleuve, au-dessous de la Nouvelle-Orléans, le terrain forme une pointe de terre qui ne paraît pas fort ancienne, car, pour peu qu’on y creuse, on trouve de l’eau, et que la quantité de petites îles qu’on a vues se former nouvellement à toutes les embouchures de ce fleuve ne laissent aucun doute que cette langue de terre ne se soit formée de la même manière. Il paraît certain, dit-il, que quand M. de La Salle descendit[1] le Mississipi jusqu’à la mer, l’embouchure de ce fleuve n’était pas telle qu’on la voit aujourd’hui.

Plus on approche de la mer, ajoute-t-il, plus cela devient sensible ; la barre n’a presque point d’eau dans la plupart des petites issues que le fleuve s’est ouvertes, et qui ne se sont si fort multipliées, que par le moyen des arbres qui y sont entraînés par le courant, et dont un seul arrêté par ses branches ou par ses racines dans un endroit où il y a un peu de profondeur, en arrête mille, j’en ai vu, dit-il, à 200 lieues d’ici[2], des amas dont un seul aurait rempli tous les chantiers de Paris ; rien alors n’est capable de les détacher ; le limon que charrie le fleuve leur sert de ciment et les couvre peu à peu ; chaque inondation en laisse une nouvelle couche, et après dix ans au plus les lianes et les arbrisseaux commencent à y croître : c’est ainsi que se sont formées la plupart des pointes et des îles qui font si souvent changer de cours au fleuve. (Voyez les Voyages du P. Charlevoix, t. III, p. 440.)

Cependant tous les changements que les fleuves occasionnent sont assez lents, et ne peuvent devenir considérables qu’au bout d’une longue suite d’années ; mais il est arrivé des changements brusques et subits par les inondations et les tremblements de terre. Les anciens prêtres égyptiens, 600 ans avant la naissance de Jésus-Christ, assuraient, au rap-

  1. Il y a des géographes qui prétendent que M. de La Salle n’a jamais descendu le Mississipi.
  2. De la Nouvelle-Orléans.