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IV. — Sur l’invention de la boussole.

Au sujet de l’invention de la boussole, je dois ajouter que, par le témoignage des auteurs chinois dont MM. Le Roux et de Guignes ont fait l’extrait, il paraît certain que la propriété qu’a le fer aimanté de se diriger vers les pôles a été très anciennement connue des Chinois. La forme de ces premières boussoles était une figure d’homme qui tournait sur un pivot et dont le bras droit montrait toujours le midi. Le temps de cette invention, suivant certaines chroniques de la Chine, est 1 115 ans avant l’ère chrétienne, et 2 700 ans selon d’autres. (Voyez l’Extrait des Annales de la Chine, par MM. Le Roux et de Guignes.) Mais malgré l’ancienneté de cette découverte, il ne paraît pas que les Chinois en aient jamais tiré l’avantage de faire de longs voyages.

Homère, dans l’Odyssée, dit que les Grecs se servirent de l’aimant pour diriger leur navigation lors du siège de Troie ; et cette époque est à peu près la même que celle des chroniques chinoises. Ainsi l’on ne peut guère douter que la direction de l’aimant vers le pôle, et même l’usage de la boussole pour la navigation, ne soient des connaissances anciennes, et qui datent de trois mille ans au moins.


V. — Sur la découverte de l’Amérique.

Sur ce que j’ai dit de la découverte de l’Amérique, un critique, plus judicieux que l’auteur des Lettres à un Américain, m’a reproché l’espèce de tort que je fais à la mémoire d’un aussi grand homme que Christophe Colomb : c’est, dit-il, le confondre avec ses matelots, que de penser qu’il a pu croire que la mer s’élevait vers le ciel, et que peut-être l’un et l’autre se touchaient du côté du midi. Je souscris de bonne grâce à cette critique, qui me paraît juste ; j’aurais dû atténuer ce fait que j’ai tiré de quelque relation ; car il est à présumer que ce grand navigateur devait avoir une notion très distincte de la figure du globe, tant par ses propres voyages que par ceux des Portugais au cap de Bonne-Espérance et aux Indes orientales. Cependant on sait que Colomb, lorsqu’il fut arrivé aux terres du nouveau continent, se croyait peu éloigné de celles de l’orient de l’Asie : comme l’on n’avait pas encore fait le tour du monde, il ne pouvait en connaître la circonférence et ne jugeait pas la terre aussi étendue qu’elle l’est en effet. D’ailleurs, il faut avouer que ce premier navigateur vers l’occident ne pouvait qu’être étonné de voir qu’au-dessous des Antilles il ne lui était pas possible de gagner les plages du midi, et qu’il était continuellement repoussé : cet obstacle subsiste encore aujourd’hui ; on ne peut aller des Antilles à la Guyane dans aucune saison, tant les courants sont rapides et constamment dirigés de la Guyane à ces îles. Il faut deux mois pour le retour, tandis qu’il ne faut que cinq ou six jours pour venir de la Guyane aux Antilles ; pour retourner, on est obligé de prendre le large à une très grande distance du côté de notre continent, d’où l’on dirige sa navigation vers la terre ferme de l’Amérique méridionale. Ces courants rapides et constants de la Guyane aux Antilles sont si violents qu’on ne peut les surmonter à l’aide du vent ; et, comme cela est sans exemple dans la mer Atlantique, il n’est pas surprenant que Colomb qui cherchait à vaincre ce nouvel obstacle, et qui, malgré toutes les ressources de son génie et de ses connaissances dans l’art de la navigation, ne pouvait avancer vers ces plages du midi, n’ait pensé qu’il y avait quelque chose de très extraordinaire et peut-être une élévation plus grande dans cette partie de la mer que dans aucune autre ; car ces courants de la Guyane aux Antilles coulent réellement avec autant de rapidité que s’ils descendaient d’un lieu plus élevé pour arriver à un endroit plus bas.

Les rivières, dont le mouvement peut causer les courants de Cayenne aux Antilles, sont :

1o Le fleuve des Amazones, dont l’impétuosité est très grande, l’embouchure large de soixante-dix lieues, et la direction plus au nord qu’au sud.