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La Suisse n’est pas moins abondante en corps marins fossiles que la France et les autres contrées dont on vient de parler ; on trouve au mont Pilate, dans le canton de Lucerne, des coquillages de mer pétrifiés, des arêtes et des carcasses de poissons. C’est au-dessous de la Corne du Dôme où l’on en rencontre le plus ; on y a aussi trouvé du corail, des pierres d’ardoise qui se lèvent aisément par feuillets, dans lesquelles on trouve presque toujours un poisson. Depuis quelques années on a même trouvé des crânes entiers et des mâchoires de poissons garnies de leurs dents[1].

M. Altman observe que dans une des parties les plus élevées des Alpes, aux environs de Grindelwald, où se forment les fameux Gletchers, il y a de très belles carrières de marbre, qu’il a fait graver sur une des planches qui représentent ces montagnes. Ces carrières de marbre ne sont qu’à quelques pas de distance du Gletcher ; ces marbres sont de différentes couleurs : il y en a du jaspé, du blanc, du jaune, du rouge, du vert ; on transporte l’hiver ces marbres sur des traîneaux, par-dessus les neiges, jusqu’à Underseen, où on les embarque pour les mener à Berne par le lac de Thoune, et ensuite par la rivière d’Aar[2] ; ainsi les marbres et les pierres calcaires se trouvent, comme l’on voit, à une très grande hauteur dans cette partie des Alpes.

M. Cappeler en faisant des recherches sur le mont Grimsel (dans les Alpes), a observé que les collines et monts peu élevés qui confinent aux vallées sont en bonne partie composés de pierre de taille ou pierre mollasse, d’un grain plus ou moins fin et plus ou moins serré. Les sommités des monts sont composées, pour la plupart, de pierres à chaux de différentes couleurs et dureté : les montagnes plus élevées que ces rochers calcaires, sont composées de granits et d’autres pierres qui paraissent tenir de la nature du granit et de celle de l’éméri. C’est dans ces pierres graniteuses que se fait la première génération du cristal de roche, au lieu que, dans les bancs de pierre à chaux qui sont au-dessous, l’on ne trouve que des concrétions calcaires et des spaths. En général, on a remarqué sur toutes les coquilles, soit fossiles, soit pétrifiées, qu’il y a certaines espèces qui se rencontrent constamment ensemble, tandis que d’autres ne se trouvent jamais dans ces mêmes endroits. Il en est de même dans la mer, où certaines espèces de ces animaux testacés se tiennent constamment ensemble, de même que certaines plantes croissent toujours ensemble à la surface de la terre[3].

On a prétendu trop généralement qu’il n’y avait point de coquilles ni d’autres productions de la mer sur les plus hautes montagnes. Il est vrai qu’il y a plusieurs sommets et un grand nombre de pics qui ne sont composés que de granits et de roches vitrescibles dans lesquels on n’aperçoit aucun mélange, aucune empreinte de coquilles ni d’aucun autre débris de productions marines ; mais il y a un bien plus grand nombre de montagnes, et même quelques-unes fort élevées, où l’on trouve de ces débris marins. M. Costa, professeur d’anatomie et de botanique en l’Université de Perpignan, a trouvé, en 1774, sur la montagne de Nas, située au midi de la Cerdagne espagnole, l’une des plus hautes parties des Pyrénées, à quelques toises au-dessous du sommet de cette montagne, une très grande quantité de pierres lenticulées, c’est-à-dire des blocs composés de pierres lenticulaires, et ces blocs étaient de différentes formes et de différents volumes ; les plus gros pouvaient peser quarante ou cinquante livres. Il a observé que la partie de la montagne où ces pierres lenticulaires se trouvent, semblait s’être affaissée ; il vit en effet dans cet endroit une dépression irrégulière, oblique, très inclinée à l’horizon, dont une des extrémités regarde le haut de la montagne, et l’autre le bas. Il ne put apercevoir distinctement les di-

  1. Promenade au mont Pilate. Journal étranger, mois de mars 1756.
  2. Essai de la description des Alpes glaciales, par M. Altman.
  3. Lettres philosophiques de M. Bourguet. Bibliothèque raisonnée, mois d’avril, mai et juin 1730.