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contraire du courant supérieur, pendant qu’à des hauteurs différentes il n’y sera pas encore parvenu. Voilà, Monsieur, quelles sont mes idées. Au reste, j’ai tiré parti plusieurs fois de ces courants inférieurs, et moyennant une machine que j’ai coulée à différentes profondeurs, selon la hauteur du fond où je me trouvais, j’ai remonté contre le courant supérieur. J’ai éprouvé que dans un temps calme, avec une surface trois fois plus grande que la proue noyée du vaisseau, on peut faire d’un tiers à une demi-lieue par heure. Je me suis assuré de cela plusieurs fois, tant par ma hauteur en latitude que par des bateaux que je mouillais, dont je me trouvais fort éloigné dans une heure, et enfin par la distance des pointes le long de la terre. »

Ces observations de M. Deslandes me paraissent décisives, et j’y souscris avec plaisir : je ne puis même assez le remercier de nous avoir démontré que mes idées sur ce sujet n’étaient justes que pour le général, mais que dans quelques circonstances elles souffraient des exceptions. Cependant il n’en est pas moins certain que l’Océan s’est ouvert la porte du détroit de Gibraltar, et que par conséquent l’on ne peut douter que la mer Méditerranée n’ait en même temps pris une grande augmentation par l’éruption de l’Océan. J’ai appuyé cette opinion, non seulement sur le courant des eaux de l’Océan dans la Méditerranée, mais encore sur la nature du terrain et la correspondance des mêmes couches de terre des deux côtés du détroit, ce qui a été remarqué par plusieurs navigateurs instruits. « L’irruption qui a formé la Méditerranée est visible et évidente, ainsi que celle de la mer noire par le détroit des Dardanelles, où le courant est toujours très violent, et les angles saillants et rentrants des deux bords, très marqués, ainsi que la ressemblance des couches de matières, qui sont les mêmes des deux côtés[1]. »

Au reste, l’idée de M. Deslandes, qui considère la mer entre l’Afrique et l’Amérique comme un grand fleuve dont le cours est dirigé vers le nord-ouest, s’accorde parfaitement avec ce que j’ai établi sur le mouvement des eaux venant du pôle austral, en plus grande quantité que du pôle boréal.


III. — Sur les parties septentrionales de la mer Atlantique.

À la vue des îles et des golfes qui se multiplient ou s’agrandissent autour du Groenland, il est difficile, disent les navigateurs, de ne pas soupçonner que la mer ne refoule, pour ainsi dire, des pôles vers l’équateur. Ce qui peut autoriser cette conjecture, c’est que le flux, qui monte jusqu’à 18 pieds au cap des États, ne s’élève que de 8 pieds à la baie de Disko, c’est-à-dire à 10 degrés plus haut de latitude nord[2].

Cette observation des navigateurs, jointe à celle de l’article précédent, semble confirmer encore ce mouvement des mers depuis les régions australes aux septentrionales où elles sont contraintes, par l’obstacle des terres, de refouler ou refluer vers les plages du midi.

Dans la baie d’Hudson, les vaisseaux ont à se préserver des montagnes de glace auxquelles des navigateurs ont donné quinze à dix-huit cents pieds d’épaisseur, et qui, étant formées par un hiver permanent de cinq à six ans dans de petits golfes éternellement remplis de neige, en ont été détachées par les vents de nord-ouest ou par quelque cause extraordinaire.

Le vent du nord-ouest, qui règne presque continuellement durant l’hiver et très souvent en été, excite dans la baie même des tempêtes effroyables. Elles sont d’autant plus à craindre que les bas-fonds y sont très communs. Dans les contrées qui bordent cette baie, le soleil ne se lève, ne se couche jamais sans un grand cône de lumière : lorsque ce

  1. Fragment d’une lettre écrite à M. de Buffon, en 1772.
  2. Histoire générale des Voyages, t. XIX, p. 2.