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de cent pieds de hauteur et qui se trouve située au nord, à l’extrémité de mon jardin, à Montbard. Lorsqu’il souffle un grand vent de midi, on se sent fortement poussé jusqu’à trente pas de la tour ; après quoi il y a un intervalle de cinq ou six pas où l’on cesse d’être poussé et où le vent, qui est réfléchi par la tour, fait pour ainsi dire équilibre avec le vent direct. Après cela, plus on approche de la tour et plus le vent qui en est réfléchi est violent ; il vous repousse en arrière avec beaucoup plus de force que le vent direct ne vous poussait en avant. La cause de cet effet, qui est général, et dont on peut faire l’épreuve contre tous les grands bâtiments, contre les collines coupées à plomb, etc., n’est pas difficile à trouver. L’air, dans le vent direct, n’agit que par sa vitesse et sa masse ordinaire ; dans le vent réfléchi, la vitesse est un peu diminuée, mais la masse est considérablement augmentée par la compression que l’air souffre contre l’obstacle qui le réfléchit ; et, comme la quantité de tout mouvement est composée de la vitesse multipliée par la masse, cette quantité est bien plus grande après la compression qu’auparavant. C’est une masse d’air ordinaire qui vous pousse dans le premier cas, et c’est une masse d’air une ou deux fois plus dense qui vous repousse dans le second cas.


II. — Sur l’état de l’air au-dessus des hautes montagnes.

Il est prouvé, par des observations constantes et mille fois réitérées, que plus on s’élève au-dessus du niveau de la mer ou des plaines, plus la colonne du mercure des baromètres descend, et que par conséquent le poids de la colonne d’air diminue d’autant plus qu’on s’élève plus haut ; et comme l’air est un fluide élastique et compressible, tous les physiciens ont conclu de ces expériences du baromètre que l’air est beaucoup plus comprimé et plus dense dans les plaines qu’il ne l’est au-dessus des montagnes. Par exemple, si le baromètre, étant à 27 pouces dans la plaine, tombe à 18 pouces au haut de la montagne, ce qui fait un tiers de différence dans le poids de la colonne d’air, on a dit que la compression de cet élément, étant toujours proportionnelle au poids incombant, l’air du haut de la montagne est en conséquence d’un tiers moins dense que celui de la plaine, puisqu’il est comprimé par un poids moindre d’un tiers. Mais de fortes raisons me font douter de la vérité de cette conséquence, qu’on a regardée comme légitime et même naturelle.

Faisons pour un moment abstraction de cette compressibilité de l’air que plusieurs causes peuvent augmenter, diminuer, détruire ou compenser : supposons que l’atmosphère soit également dense partout ; si son épaisseur n’était que de trois lieues, il est sûr qu’en s’élevant à une lieue, c’est-à-dire de la plaine au haut de la montagne, le baromètre, étant chargé d’un tiers de moins, descendrait de 27 pouces à 18. Or l’air, quoique compressible, me paraît être également dense à toutes les hauteurs[NdÉ 1], et voici les faits et les réflexions sur lesquels je fonde cette opinion :

1o Les vents sont aussi puissants, aussi violents au-dessus des plus hautes montagnes que dans les plaines les plus basses ; tous les observateurs sont d’accord sur ce fait. Or si l’air y était d’un tiers moins dense, leur action serait d’un tiers plus faible, et tous les vents ne seraient que des zéphyrs à une lieue de hauteur, ce qui est absolument contraire à l’expérience.

2o Les aigles et plusieurs autres oiseaux, non seulement volent au sommet des plus hautes montagnes, mais même ils s’élèvent encore au-dessus à de grandes hauteurs. Or je demande s’ils pourraient exécuter leur vol ni même se soutenir dans un fluide qui serait une fois moins dense, et si le poids de leur corps, malgré tous leurs efforts, ne les ramènerait pas en bas ?

  1. Buffon commet une erreur. La densité de l’air diminue de plus en plus à mesure qu’on s’élève dans l’atmosphère.