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blable à celui que ferait une pierre en tombant dans un bourbier ; et, quand on n’y jetait rien, on entendait un bruit semblable à celui des flots agités[1]. » Si la chute de ces pierres jetées dans le gouffre s’était faite perpendiculairement et sans obstacle, on pourrait conclure des 12 secondes de temps une profondeur de 2 160 pieds, ce qui donnerait au gouffre du Vésuve plus de profondeur que le niveau de la mer ; car, selon le P. de la Torré, cette montagne n’avait en 1753 que 1 677 pieds d’élévation au-dessus de la surface de la mer ; et cette élévation est encore diminuée depuis ce temps : il paraît donc hors de doute que les cavernes de ce volcan descendent au-dessous du niveau de la mer, et que par conséquent il peut avoir communication avec elle.

J’ai reçu, d’un témoin oculaire et bon observateur, une note bien faite et détaillée sur l’état du Vésuve, le 15 juillet de cette même année 1753 : je vais la rapporter, comme pouvant servir à fixer les idées sur ce que l’on doit présumer et craindre des effets de ce volcan, dont la puissance me paraît être bien affaiblie.

« Rendu au pied du Vésuve, distant de Naples de deux lieues, on monte pendant une heure et demie sur des ânes, et l’on en emploie autant pour faire le reste du chemin à pied ; c’en est la partie la plus escarpée et la plus fatigante : on se tient à la ceinture de deux hommes qui précèdent, et l’on marche dans les cendres et dans les pierres anciennement élancées.

» Chemin faisant, on voit les laves des différentes éruptions : la plus ancienne qu’on trouve, dont l’âge est incertain, mais à qui la tradition donne deux cents ans, est de couleur de gris de fer et a toutes les apparences d’une pierre ; elle s’emploie actuellement pour le pavé de Naples et pour certains ouvrages de maçonnerie. On en trouve d’autres qu’on dit être de soixante, de quarante et de vingt ans ; la dernière est de l’année 1752… Ces différentes laves, à l’exception de la plus ancienne, ont de loin l’apparence d’une terre brune, noirâtre, raboteuse, plus ou moins fraîchement labourée. Vue de près, c’est une matière absolument semblable à celle qui reste du fer épuré dans les fonderies ; elle est plus ou moins composée de terre et de minéral ferrugineux, et approche plus ou moins de la pierre.

» Arrivé à la cime qui, avant les éruptions, était solide, on trouve un premier bassin dont la circonférence, dit-on, a 2 milles d’Italie, et dont la profondeur paraît avoir 40 pieds, entouré d’une croûte de terre de cette même hauteur, qui va en s’épaississant vers sa base et dont le bord supérieur a 2 pieds de largeur. Le fond de ce premier bassin est couvert d’une matière jaune, verdâtre, sulfureuse, durcie et chaude, sans être ardente, qui par différentes crevasses laisse sortir de la fumée.

» Dans le milieu de ce premier bassin, on en voit un second qui a environ moitié de la circonférence du premier, et pareillement la moitié de sa profondeur ; son fond est couvert d’une matière brune, noirâtre, telle que les laves les plus fraîches qui se trouvent sur la route.

» Dans ce second bassin, s’élève un monticule, creux dans son intérieur, ouvert dans sa cime, et pareillement ouvert depuis sa cime jusqu’à sa base vers le côté de la montagne où l’on monte. Cette ouverture latérale peut avoir à la cime 20 pieds, et à la base 4 pieds de largeur : la hauteur du monticule est environ de 40 pieds ; le diamètre de sa base peut en avoir autant, et celui de l’ouverture de sa cime la moitié.

» Cette base, élevée au-dessus du second bassin d’environ 20 pieds, forme un troisième bassin actuellement rempli d’une matière liquide et ardente, dont le coup d’œil est entièrement semblable au métal fondu qu’on voit dans les fourneaux d’une fonderie : cette matière bouillonne continuellement avec violence ; son mouvement a l’appa-

  1. Voyage en Italie, par M. de La Condamine, Mémoires de l’Académie des sciences, an. 1757, p. 371 et suiv.