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quatre milles de la bouche d’où cette lave avait jailli. Il est très persuadé qu’il faut bien des années avant qu’une lave de l’épaisseur de celle-ci (d’environ deux cents pieds) se refroidisse.

Je n’ai pu faire des expériences sur la consolidation et le refroidissement qu’avec des boulets de quelques pouces de diamètre ; le seul moyen de faire ces expériences plus en grand serait d’observer les laves et de comparer les temps employés à leur consolidation et refroidissement selon leurs différentes épaisseurs ; je suis persuadé que ces observations confirmeraient la loi que j’ai établie pour le refroidissement depuis l’état de fusion jusqu’à la température actuelle, et quoiqu’à la rigueur ces nouvelles observations ne soient pas nécessaires pour confirmer ma théorie, elles serviraient à remplir le grand intervalle qui se trouve entre un boulet de canon et une planète.

Il nous reste à examiner la nature des laves et à démontrer qu’elles se convertissent, avec le temps, en une terre fertile, ce qui nous rappelle l’idée de la première conversion des scories du verre primitif qui couvraient la surface entière du globe après sa consolidation.

« On ne comprend pas sous le nom de laves, dit M. de La Condamine, toutes les matières sorties de la bouche d’un volcan, telles que les cendres, les pierres ponces, le gravier, le sable, mais seulement celles qui, réduites par l’action du feu dans un état de limpidité, forment en se refroidissant des masses solides dont la dureté surpasse celle du marbre. Malgré cette restriction, on conçoit qu’il y aura encore bien des espèces de laves, selon le différent degré de fusion du mélange, selon qu’il participera plus ou moins du métal, et qu’il sera plus ou moins intimement uni avec diverses matières. J’en distingue surtout trois espèces, et il y en a bien d’intermédiaires. La lave la plus pure ressemble, quand elle est polie, à une pierre d’un gris sale et obscur ; elle est lisse, dure, pesante, parsemée de petits fragments semblables à du marbre noir et de points blanchâtres ; elle parait contenir des parties métalliques ; elle ressemble au premier coup d’œil à la serpentine, lorsque la couleur de la lave ne tire point sur le vert ; elle reçoit un assez beau poli, plus ou moins vif dans ses différentes parties ; on en fait des tables, des chambranles de cheminée, etc.

» La lave la plus grossière est inégale et raboteuse ; elle ressemble fort à des scories de forge ou écumes de fer. La lave la plus ordinaire tient un milieu entre ces deux extrêmes ; c’est celle que l’on voit répandue en grosses masses sur les flancs du Vésuve et dans les campagnes voisines. Elle y a coulé par torrents ; elle a formé en se refroidissant des masses semblables à des rochers ferrugineux et rouillés, et souvent épais de plusieurs pieds. Ces masses sont interrompues et souvent recouvertes par des amas de cendres et de matières calcinées… C’est sous plusieurs lits alternatifs de laves, de cendres et de terre, dont le total fait une croûte de 60 à 80 pieds d’épaisseur, qu’on a trouvé des temples, des portiques, des statues, un théâtre, une ville entière, etc.[1] »

« Presque toujours, dit M. Fougeroux de Pondaroy, immédiatement après l’éruption d’une terre brûlée ou d’une espèce de cendre…, le Vésuve jette la lave… ; elle coule par les fentes qui sont faites à la montagne…

» La matière minérale enflammée, fondue et coulante, ou la lave proprement dite, sort par les fentes ou crevasses avec plus ou moins d’impétuosité, et en plus ou moins grande quantité, suivant la force de l’éruption ; elle se répand à une distance plus ou moins grande, suivant son degré de fluidité, et suivant la pente de la montagne qu’elle suit, qui retarde plus ou moins son refroidissement…

» Celle qui garnit maintenant une partie du terrain dans le bas de la montagne, et qui descend quelquefois jusqu’au pied de Portici…, forme de grandes masses dures,

  1. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1757, p. 374 et suiv.