Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/36

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le cochon ; autre assemblage, comme on voit, qui est aussi gratuit et aussi bizarre que si l’auteur eût travaillé dans le dessein de le rendre tel. Enfin le cinquième ordre, pecora, ou le bétail, comprend le chameau, le cerf, le bouc, le bélier et le bœuf ; mais quelle différence n’y a-t-il pas entre un chameau et un bélier, ou entre un cerf et un bouc ? et quelle raison peut-on avoir pour prétendre que ce soient des animaux du même ordre, si ce n’est que voulant absolument faire des ordres, et n’en faire qu’un petit nombre, il faut bien y recevoir des bêtes de toute espèce ? Ensuite en examinant les dernières divisions des animaux en espèces particulières, on trouve que le loup-cervier n’est qu’une espèce de chat, le renard et le loup une espèce de chien, la civette une espèce de blaireau, le cochon d’Inde une espèce de lièvre, le rat d’eau une espèce de castor, le rhinocéros une espèce d’éléphant, l’âne une espèce de cheval, etc., et tout cela parce qu’il y a quelques petits rapports entre le nombre des mamelles et des dents de ces animaux, ou quelque ressemblance légère dans la forme de leurs cornes.

Voilà pourtant, et sans y rien omettre, à quoi se réduit ce système de la nature pour les animaux quadrupèdes. Ne serait-il pas plus simple, plus naturel et plus vrai de dire qu’un âne est un âne, et un chat un chat, que de vouloir, sans savoir pourquoi, qu’un âne soit un cheval, et un chat un loup-cervier ?

On peut juger par cet échantillon de tout le reste du système. Les serpents, selon cet auteur, sont des amphibies, les écrevisses sont des insectes, et non seulement des insectes, mais des insectes du même ordre que les poux et les puces, et tous les coquillages, les crustacés et les poissons mous sont des vers ; les huîtres, les moules, les oursins, les étoiles de mer, les seiches, etc., ne sont, selon cet auteur, que des vers[NdÉ 1]. En faut-il davantage pour faire sentir combien toutes ces divisions sont arbitraires, et cette méthode mal fondée ?

On reproche aux anciens de n’avoir pas fait des méthodes, et les modernes se croient fort au-dessus d’eux parce qu’ils ont fait un grand nombre de ces arrangements méthodiques et de ces dictionnaires dont nous venons de parler ; ils se sont persuadé que cela seul suffit pour prouver que les anciens n’avaient pas à beaucoup près autant de connaissances en histoire naturelle que nous en avons ; cependant c’est tout le contraire, et nous aurons dans la suite de cet ouvrage mille occasions de prouver que les anciens étaient beaucoup plus avancés et plus instruits que nous ne le sommes, je ne dis pas en physique, mais dans l’histoire naturelle des animaux et des minéraux, et que les faits de cette histoire leur étaient bien plus familiers qu’à nous qui aurions dû profiter de leurs découvertes et de leurs remarques. En attendant

  1. La science moderne reprend aujourd’hui l’idée de Linné. Les recherches embryologiques les plus récentes ont mis hors de doute la parenté des Mollusques avec les Annélides.