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Mais cette lumière n’est pas la seule émanation bénigne que la lune ait reçue et reçoive de la terre. Dans le commencement des temps, le globe terrestre était pour cette planète un second soleil plus ardent que le premier : comme sa distance à la terre n’est que de quatre-vingt-cinq mille lieues, et que la distance du soleil est d’environ trente-trois millions, la terre faisait alors sur la lune un feu bien supérieur à celui du soleil ; nous ferons aisément l’estimation de cet effet, en considérant que la terre présente à la lune une surface environ seize fois plus grande que le soleil, et par conséquent le globe terrestre, dans son état d’incandescence, était pour la lune un astre seize fois plus grand que le soleil[1]. Or nous avons vu que la compensation faite par la chaleur du soleil à la perte de la chaleur propre de la lune pendant 14 323 ans a été de 13/50, et le prolongement du refroidissement de 149 ans ; mais la chaleur envoyée par la terre en incandescence étant seize fois plus grande que celle du soleil, la compensation qu’elle a faite alors était donc 16/1250, parce que la lune était elle-même en incandescence, et que sa chaleur propre était vingt-cinq fois plus grande qu’elle n’était au bout des 14 323 ans ; néanmoins, la chaleur de notre globe ayant diminué de 25 à 20 1/2 environ, depuis son incandescence jusqu’à ce même terme de 14 323 ans, il s’ensuit que la chaleur envoyée par la terre à la lune dans ce temps n’aurait fait compensation que de 12 22/25/1250 si la lune eût conservé son état d’incandescence ; mais sa première chaleur ayant diminué pendant les 14 323 ans de 25, la compensation que faisait alors la chaleur de la terre, au lieu de n’être que de 12 22/25/1250 a été de 12 22/25/1250 multipliés par 25, c’est-à-dire de 322/1250 ; en ajoutant ces deux termes de compensation du premier et du dernier temps de cette période de 14 323 ans, savoir, 16/1250 et 322/1250 pour la somme de ces deux termes de compensation, qui étant multipliée par 12 1/2, moitié de la somme de tous les termes, donne 4225/1250 ou 3 19/50 pour la compensation totale qu’a faite la chaleur envoyée par la terre à la lune pendant les 14 323 ans ; et comme la perte de la chaleur propre est à la compensation en même raison que le temps de la période est à celui du prolongement du refroidissement, on aura 25 : 3 19/50 : : 14 323 : 1 937 ans environ. Ainsi la chaleur de la terre a prolongé de 1 937 ans le refroidissement de la lune pendant la première période de 14 323 ans, et la chaleur du soleil l’ayant aussi prolongé de 149 ans, la période du temps réel qui s’est écoulé depuis l’incandescence jusqu’au refroidissement de la lune à la température actuelle de la terre est de 16 409 ans environ.

  1. On peut encore présenter d’une autre manière, qui paraîtra peut-être plus claire, les raisonnements et les calculs ci-dessus. On sait que le diamètre du soleil est à celui de la terre : : 107 : 1, leurs surfaces : : 11 449 : 4, et leurs volumes : : 1 225 043 : 1.

    Le soleil qui est à peu près éloigné de la terre et de la lune également, leur envoie à chacune une certaine quantité de chaleur, laquelle, comme celle de tous les corps chauds, est en raison de la surface et non pas du volume. Supposant donc le soleil divisé en 1 225 043 petits globes, chacun gros comme la terre, la chaleur que chacun de ces petits globes enverrait à la lune serait à celle que le soleil lui envoie, comme la surface d’un de ces petits globes est à la surface du soleil, c’est-à-dire : : 1 : 11 449. Mais en mettant ce petit globe de feu à la place de la terre, il est évident que la chaleur sera augmentée dans la même raison que l’espace aura diminué. Or la distance du soleil et celle de la terre à la lune sont entre elles : : 7 200 : 17, dont les carrés sont : : 51 840 000 : 289. Donc la chaleur que le petit globe de feu placé à quatre-vingt-cinq mille lieues de distance de la lune lui enverrait serait à celle qu’il lui envoyait auparavant : : 179 377 : 1. Mais nous avons vu que la surface de ce petit globe n’était à celle du soleil que : : 1 : 11 449, ainsi la quantité de chaleur que sa surface enverrait vers la lune est onze mille quatre cent quarante-neuf fois plus petite que celle du soleil. Divisant donc 179 377 par 11 449, il se trouve que cette chaleur envoyée par la terre en incandescence à la lune était 15 1/2, c’est-à-dire environ seize fois plus forte que celle du soleil.