Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/40

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soit possible de réduire à de moindres termes tout ce qu’il avait à dire sur cette matière, qui paraît si peu susceptible de cette précision, qu’il fallait un génie comme le sien pour y conserver en même temps de l’ordre et de la netteté. Cet ouvrage d’Aristote s’est présenté à mes yeux comme une table de matières qu’on aurait extraite avec le plus grand soin de plusieurs milliers de volumes remplis de descriptions et d’observations de toute espèce ; c’est l’abrégé le plus savant qui ait jamais été fait, si la science est en effet l’histoire des faits : et quand même on supposerait qu’Aristote aurait tiré de tous les livres de son temps ce qu’il a mis dans le sien, le plan de l’ouvrage, sa distribution, le choix des exemples, la justesse des comparaisons, une certaine tournure dans les idées, que j’appellerais volontiers le caractère philosophique, ne laissent pas douter un instant qu’il ne fût lui-même bien plus riche que ceux dont il aurait emprunté.

Pline a travaillé sur un plan bien plus grand, et peut-être trop vaste : il a voulu tout embrasser, et il semble avoir mesuré la nature et l’avoir trouvée trop petite encore pour l’étendue de son esprit ; son histoire naturelle comprend, indépendamment de l’histoire des animaux, des plantes et des minéraux, l’histoire du ciel et de la terre, la médecine, le commerce, la navigation, l’histoire des arts libéraux et mécaniques, l’origine des usages, enfin toutes les sciences naturelles et tous les arts humains ; et ce qu’il y a d’étonnant, c’est que dans chaque partie Pline est également grand ; l’élévation des idées, la noblesse du style relèvent encore sa profonde érudition ; non seulement il savait tout ce qu’on pouvait savoir de son temps, mais il avait cette facilité de penser en grand qui multiplie la science, il avait cette finesse de réflexion de laquelle dépendent l’élégance et le goût, et il communique à ses lecteurs une certaine liberté d’esprit, une hardiesse de penser qui est le germe de la philosophie. Son ouvrage, tout aussi varié que la nature, la peint toujours en beau ; c’est, si l’on veut, une compilation de tout ce qui avait été écrit avant lui, une copie de tout ce qui avait été fait d’excellent et d’utile à savoir ; mais cette copie a de si grands traits, cette compilation contient des choses rassemblées d’une manière si neuve, qu’elle est préférable à la plupart des ouvrages originaux qui traitent des mêmes matières.

Nous avons dit que l’histoire fidèle et la description exacte de chaque chose étaient les deux seuls objets que l’on devait se proposer d’abord dans l’étude de l’histoire naturelle. Les anciens ont bien rempli le premier, et sont peut-être autant au-dessus des modernes par cette première partie, que ceux-ci sont au-dessus d’eux par la seconde ; car les anciens ont très bien traité l’historique de la vie et des mœurs des animaux, de la culture et des usages des plantes, des propriétés et de l’emploi des minéraux, et en même temps ils semblent avoir négligé à dessein la description de chaque chose : ce n’est pas qu’ils ne fussent très capables de la bien faire, mais ils dédai-