Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/46

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sidérer que leur force d’attraction : leurs mouvements sont d’ailleurs les plus réguliers que nous connaissions, et n’éprouvent aucun retardement par la résistance : tout cela concourt à rendre l’explication du système du monde un problème de mathématique, auquel il ne fallait qu’une idée physique heureusement conçue pour le réaliser ; et cette idée est d’avoir pensé que la force qui fait tomber les graves à la surface de la terre, pourrait bien être la même que celle qui retient la lune dans son orbite.

Mais, je le répète, il y a bien peu de sujets en physique où l’on puisse appliquer aussi avantageusement les sciences abstraites, et je ne vois guère que l’astronomie et l’optique auxquelles elles puissent être d’une grande utilité ; l’astronomie par les raisons que nous venons d’exposer, et l’optique parce que la lumière étant un corps presque infiniment petit, dont les effets s’opèrent en ligne droite avec une vitesse presque infinie, ses propriétés sont presque mathématiques, ce qui fait qu’on peut y appliquer avec quelque succès le calcul et les mesures géométriques. Je ne parlerai pas des mécaniques, parce que la mécanique rationnelle est elle-même une science mathématique et abstraite, de laquelle la mécanique pratique ou l’art de faire et de composer les machines, n’emprunte qu’un seul principe par lequel on peut juger tous les effets en faisant abstraction des frottements et des autres qualités physiques. Aussi m’a-t-il toujours paru qu’il y avait une espèce d’abus dans la manière dont on professe la physique expérimentale, l’objet de cette science n’étant point du tout celui qu’on lui prête. La démonstration des effets mécaniques, comme de la puissance des leviers, des poulies, de l’équilibre des solides et des fluides, de l’effet des plans inclinés, de celui des forces centrifuges, etc., appartenant entièrement aux mathématiques, et pouvant être saisie par les yeux de l’esprit avec la dernière évidence, il me paraît superflu de la représenter à ceux du corps ; le vrai but est au contraire de faire des expériences sur toutes les choses que nous ne pouvons pas mesurer par le calcul, sur tous les effets dont nous ne connaissons pas encore les causes, et sur toutes les propriétés dont nous ignorons les circonstances, cela seul peut nous conduire à de nouvelles découvertes ; au lieu que la démonstration des effets mathématiques ne nous apprendra jamais que ce que nous savions déjà.

Mais cet abus n’est rien en comparaison des inconvénients où l’on tombe lorsqu’on veut appliquer la géométrie et le calcul à des sujets de physique trop compliqués, à des objets dont nous ne connaissons pas assez les propriétés pour pouvoir les mesurer ; on est obligé dans tous ces cas de faire des suppositions toujours contraires à la nature, de dépouiller le sujet de la plupart de ses qualités, d’en faire un être abstrait qui ne ressemble plus à l’être réel, et lorsqu’on a beaucoup raisonné et calculé sur les rapports et les propriétés de cet être abstrait, et qu’on est arrivé à une conclusion tout aussi abstraite, on croit avoir trouvé quelque chose de réel, et on transporte