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d’ailleurs, le nombre des îles est fort peu considérable dans les mers septentrionales, tandis qu’il y en a une quantité prodigieuse dans la zone torride ; et comme une île n’est qu’un sommet de montagne, il est clair que la surface de la terre a beaucoup plus d’inégalités vers l’équateur que vers le nord.

Le mouvement général du flux et du reflux a donc produit les plus grandes montagnes qui se trouvent dirigées d’occident en orient dans l’ancien continent, et du nord au sud dans le nouveau, dont les chaînes sont d’une étendue très considérable ; mais il faut attribuer aux mouvements particuliers des courants, des vents et des autres agitations de la mer, l’origine de toutes les autres montagnes ; elles ont vraisemblablement été produites par la combinaison de tous ces mouvements, dont on voit bien que les effets doivent être variés à l’infini, puisque les vents, la position différente des îles et des côtes ont altéré de tous les temps et dans tous les sens possibles la direction du flux et du reflux des eaux : ainsi, il n’est point étonnant qu’on trouve sur le globe des éminences considérables dont le cours est dirigé vers différentes plages : il suffit pour notre objet d’avoir démontré que les montagnes n’ont pas été placées au hasard, et qu’elles n’ont point été produites par des tremblements de terre ou par d’autres causes accidentelles, mais qu’elles sont un effet résultant de l’ordre général de la nature, aussi bien que l’espèce d’organisation qui leur est propre et la position des matières qui les composent.

Mais comment est-il arrivé que cette terre que nous habitons, que nos ancêtres ont habitée comme nous, qui de temps immémorial est un continent sec, ferme et éloigné des mers, ayant été autrefois un fond de mer, soit actuellement supérieure à toutes les eaux et en soit si distinctement séparée ? Pourquoi les eaux de la mer n’ont-elles pas resté sur cette terre, puisqu’elles y ont séjourné si longtemps ? Quel accident, quelle cause a pu produire ce changement dans le globe ? Est-il même possible d’en concevoir une assez puissante pour opérer un tel effet ?

Ces questions sont difficiles à résoudre ; mais les faits étant certains, la manière dont ils sont arrivés peut demeurer inconnue sans préjudicier au jugement que nous devons en porter ; cependant, si nous voulons y réfléchir, nous trouverons par induction des raisons très plausibles de ces changements[1]. Nous voyons tous les jours la mer gagner du terrain dans de certaines côtes et en perdre dans d’autres ; nous savons que l’Océan a un mouvement général et continuel d’orient en occident, nous entendons de loin les efforts terribles que la mer fait contre les basses terres et contre les rochers qui la bornent, nous connaissons des provinces entières où on est obligé de lui opposer des digues que l’industrie humaine a bien de la peine à soutenir contre la fureur des flots, nous avons des exemples de pays récemment submergés et de débordements réguliers ; l’histoire nous parle

  1. Voyez les Preuves, art. xix.