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Mais il y a bien d’autres causes qui concourent avec le mouvement continuel de la mer d’orient en occident pour produire l’effet dont nous parlons. Combien n’y a-t-il pas de terres plus basses que le niveau de la mer et qui ne sont défendues que par un isthme, un banc de rochers, ou par des digues encore plus faibles ! L’effort des eaux détruira peu à peu ces barrières, et dès lors ces pays seront submergés. De plus, ne sait-on pas que les montagnes s’abaissent[1] continuellement par les pluies qui en détachent les terres et les entraînent dans les vallées ? Ne sait-on pas que les ruisseaux roulent les terres des plaines et des montagnes dans les fleuves, qui portent à leur tour cette terre superflue dans la mer ? Ainsi peu à peu le fond des mers se remplit, la surface des continents s’abaisse et se met de niveau, et il ne faut que du temps pour que la mer prenne successivement la place de la terre.

Je ne parle point de ces causes éloignées qu’on prévoit moins qu’on ne les devine, de ces secousses de la nature dont le moindre effet serait la catastrophe du monde : le choc ou l’approche d’une comète, l’absence de la lune, la présence d’une nouvelle planète, etc., sont des suppositions sur lesquelles il est aisé de donner carrière à son imagination ; de pareilles causes produisent tout ce qu’on veut, et d’une seule de ces hypothèses on va tirer mille romans physiques que leurs auteurs appelleront Théorie de la Terre. Comme historien, nous nous refusons à ces vaines spéculations ; elles roulent sur des possibilités qui, pour se réduire à l’acte, supposent un bouleversement de l’univers, dans lequel notre globe, comme un point de matière abandonnée, échappe à nos yeux et n’est plus un objet digne de nos regards ; pour les fixer, il faut le prendre tel qu’il est, en bien observer toutes les parties, et par des inductions conclure du présent au passé ; d’ailleurs, des causes dont l’effet est rare, violent et subit, ne doivent pas nous toucher : elles ne se trouvent pas dans la marche ordinaire de la nature ; mais des effets qui arrivent tous les jours, des mouvements qui se succèdent et se renouvellent sans interruption, des opérations constantes et toujours réitérées, ce sont là nos causes et nos raisons.

Ajoutons-y des exemples, combinons la cause générale avec les causes particulières, et donnons des faits dont le détail rendra sensibles les différents changements qui sont arrivés sur le globe, soit par l’irruption de l’Océan dans les terres, soit par l’abandon de ces mêmes terres lorsqu’elles se sont trouvées trop élevées.

La plus grande irruption de l’Océan dans les terres est celle[2] qui a produit la mer[3] Méditerranée ; entre deux promontoires avancés, l’Océan[4] coule avec une très grande rapidité par un passage étroit, et forme ensuite une

  1. Voyez Ray’s Discourses, p. 126. — Plot, Hist. nat., etc.
  2. Voyez les Preuves, art. xi et xix.
  3. Voyez Ray’s Discourses, p. 209.
  4. Voyez Trans. phil. Abr., vol. ii, p. 283.