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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/120

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qu’elle s’est même plus universellement répandue, et que si l’époque de sa création est postérieure à celle des animaux, rien ne prouve que l’homme n’ait pas au moins subi les mêmes lois de la nature, les mêmes altérations, les mêmes changements. Nous conviendrons que l’espèce humaine ne diffère pas essentiellement des autres espèces par ses facultés corporelles, et qu’à cet égard son sort eût été le même à peu près que celui des autres espèces ; mais pouvons-nous douter que nous ne différions prodigieusement des animaux par le rayon divin qu’il a plu au souverain Être de nous départir ; ne voyons-nous pas que dans l’homme la matière est conduite par l’esprit : il a donc pu modifier les effets de la nature ; il a trouvé le moyen de résister aux intempéries des climats ; il a créé de la chaleur lorsque le froid l’a détruite : la découverte et les usages de l’élément du feu, dus à sa seule intelligence, l’ont rendu plus fort et plus robuste qu’aucun des animaux, et l’ont mis en état de braver les tristes effets du refroidissement. D’autres arts, c’est-à-dire d’autres traits de son intelligence, lui ont fourni des vêtements, des armes, et bientôt il s’est trouvé le maître du domaine de la terre : ces mêmes arts lui ont donné les moyens d’en parcourir toute la surface et de s’habituer partout ; parce qu’avec plus ou moins de précautions tous les climats lui sont devenus pour ainsi dire égaux. Il n’est donc pas étonnant que, quoiqu’il n’existe aucun des animaux du midi de notre continent dans l’autre, l’homme seul, c’est-à-dire son espèce, se trouve également dans cette terre isolée de l’Amérique méridionale, qui paraît n’avoir eu aucune part aux premières formations des animaux, et aussi dans toutes les parties froides ou chaudes de la surface de la terre : car quelque part et quelque loin que l’on ait pénétré depuis la perfection de l’art de la navigation, l’homme a trouvé partout des hommes : les terres les plus disgraciées, les îles les plus isolées, les plus éloignées des continents, se sont presque toutes trouvées peuplées ; et l’on ne peut pas dire que ces hommes, tels que ceux des îles Marianes ou ceux d’Othahiti et des autres petites îles situées dans le milieu des mers à de si grandes distances de toutes terres habitées, ne soient néanmoins des hommes de notre espèce puisqu’ils peuvent produire avec nous, et que les petites différences qu’on remarque dans leur nature ne sont que de légères variétés causées par l’influence du climat et de la nourriture.

Néanmoins, si l’on considère que l’homme, qui peut se munir aisément contre le froid, ne peut au contraire se défendre par aucun moyen contre la chaleur trop grande ; que même il souffre beaucoup dans les climats que les animaux du midi cherchent de préférence, on aura une raison de plus pour croire que la création de l’homme a été postérieure à celle de ces grands animaux. Le souverain Être n’a pas répandu le souffle de vie dans le même instant sur toute la surface de la terre ; il a commencé par féconder les mers et ensuite les terres les plus élevées, et il a voulu donner tout le temps nécessaire à la terre pour se consolider, se figurer, se refroidir, se découvrir,