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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/134

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pour la chaleur que pour la salubrité de l’air et des eaux ? Ils auront fixé leur domicile à une hauteur médiocre dans les montagnes ; ils se seront arrêtés sous le climat le plus favorable à leur multiplication ; et comme ils avaient peu d’occasions de se mésallier, puisque toutes les terres voisines étaient désertes, ou du moins tout aussi nouvellement peuplées par un petit nombre d’hommes bien inférieurs en force, leur race gigantesque s’est propagée sans obstacles et presque sans mélange ; elle a duré et subsisté jusqu’à ce jour, tandis qu’il y a nombre de siècles qu’elle a été détruite dans les lieux de son origine en Asie[1], par la très grande et plus ancienne population de cette partie du monde.

Mais autant les hommes se sont multipliés dans les terres qui sont actuellement chaudes et tempérées, autant leur nombre a diminué dans celles qui sont devenues trop froides. Le nord du Groenland, de la Laponie, du Spitzberg, de la Nouvelle-Zemble, de la terre des Samoïèdes, aussi bien qu’une partie de celles qui avoisinent la mer Glaciale jusqu’à l’extrémité de l’Asie, au nord de Kamtschatka, sont actuellement désertes ou plutôt dépeuplées depuis un temps assez moderne. On voit même, par les cartes russes, que depuis les embouchures des fleuves Olenek, Lena et Jana, sous les 73e et 74e degrés, la route, tout le long des côtes de cette mer Glaciale jusqu’à la terre des Tschutschis, était autrefois fort fréquentée, et qu’actuellement elle est impraticable, ou tout au moins si difficile qu’elle est abandonnée. Ces mêmes cartes nous montrent que des trois vaisseaux partis en 1648 de l’embouchure commune des fleuves de Kolima et Olomon, sous le 72e degré, un seul a doublé le cap de la terre des Tschutschis sous le 75e degré, et seul est arrivé, disent les mêmes cartes, aux îles d’Anadir, voisines de l’Amérique sous le cercle polaire ; mais autant je suis persuadé de la vérité de ces premiers faits, autant je doute de celle du dernier ; car cette même carte, qui présente par une suite de points la route de ce vaisseau russe autour de la terre des Tschutschis, porte en même temps en toutes lettres qu’on ne connaît pas l’étendue de cette terre ; or, quand même on aurait en 1648 parcouru cette mer et fait le tour de cette pointe de l’Asie, il est sûr que depuis ce temps les Russes, quoique très intéressés à cette navigation pour arriver au Kamtschatka, et de là au Japon et à la Chine, l’ont entièrement abandonnée ; mais peut-être aussi se sont-ils réservé pour eux seuls la connaissance de cette route autour de cette terre des Tschutschis, qui forme l’extrémité la plus septentrionale et la plus avancée du continent de l’Asie.

Quoi qu’il en soit, toutes les régions septentrionales au delà du 76e degré depuis le nord de la Norvège jusqu’à l’extrémité de l’Asie, sont actuellement dénuées d’habitants, à l’exception de quelques malheureux que les Danois et les Russes ont établis pour la pêche, et qui seuls entretiennent un

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.