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La découverte des squelettes et des défenses d’éléphants dans le Canada est assez récente, et j’en ai été informé des premiers, par une lettre de feu M. Collinson, membre de la Société royale de Londres. Voici la traduction de cette lettre :

« M. George Croghan nous a assuré que dans le cours de ses voyages, en 1765 et 1766, dans les contrées voisines de la rivière d’Ohio, environ à 4 milles sud-est de cette rivière, éloignée de 640 milles du fort de Quesne (que nous appelons maintenant Pitsburgh), il a vu, aux environs d’un grand marais salé, où les animaux sauvages s’assemblent en certain temps de l’année, de grands os et de grosses dents ; et qu’ayant examiné cette place avec soin, il a découvert, sur un banc élevé du côté du marais, un nombre prodigieux d’os de très grands animaux, et que, par la longueur et la forme de ces os et de ces défenses, on doit conclure que ce sont des os d’éléphants.

» Mais les grosses dents que je vous envoie, Monsieur, ont été trouvées avec ces défenses ; d’autres, encore plus grandes que celles-ci, paraissent indiquer et même démontrer qu’elles n’appartiennent pas à des éléphants. Comment concilier ce paradoxe ? Ne pourrait-on pas supposer qu’il a existé autrefois un grand animal qui avait les défenses de l’éléphant et les mâchelières de l’hippopotame ? car ces grosses dents mâchelières sont très différentes de celles de l’éléphant. M. Croghan pense, d’après la grande quantité de ces différentes sortes de dents, c’est-à-dire des défenses et des dents molaires qu’il a observées dans cet endroit, qu’il y avait au moins trente de ces animaux. Cependant les éléphants n’étaient point connus en Amérique, et probablement ils n’ont pu y être apportés d’Asie : l’impossibilité qu’ils ont à vivre dans ces contrées, à cause de la rigueur des hivers, et où cependant on trouve une si grande quantité de leurs os, fait encore un paradoxe, que votre éminente sagacité doit déterminer.

» M. Croghan a envoyé à Londres, au mois de février 1767, les os et les dents qu’il avait rassemblés dans les années 1765 et 1766 :

» 1o À mylord Shelburne, deux grandes défenses dont une était bien entière et avait près de 7 pieds de long (6 pieds 7 pouces de France) ; l’épaisseur était comme celle d’une défense ordinaire d’un éléphant qui aurait cette longueur.

» 2o Une mâchoire avec deux dents mâchelières qui y tenaient, et outre cela plusieurs très grosses dents mâchelières séparées.

» Au docteur Franklin : 1o trois défenses d’éléphant, dont une d’environ 6 pieds de long, était cassée par la moitié, gâtée ou rongée au centre, et semblable à de la craie ; les autres étaient très saines, le bout de l’une des deux était aiguisée en pointe et d’un très bel ivoire.

» 2o Une petite défense d’environ trois pieds de long, grosse comme le bras, avec les alvéoles qui reçoivent les muscles et les tendons, qui étaient d’une couleur marron luisante, laquelle avait l’air aussi fraîche que si on venait de la tirer de la tête de l’animal.

» 3o Quatre mâchelières, dont l’une des plus grandes avait plus de largeur et un rang de pointes de plus que celles que je vous ai envoyées. Vous pouvez être assuré que toutes celles qui ont été envoyées à mylord Shelburne et à M. Franklin étaient de la même forme et avaient le même émail que celles que je mets sous vos yeux.

» Le docteur Franklin a dîné dernièrement avec un officier qui a rapporté de cette même place, voisine de la rivière d’Ohio, une défense plus blanche, plus luisante, plus unie que toutes les autres, et une mâchelière encore plus grande que toutes celles dont je viens de faire mention. » Lettre de M. Collison à M. de Buffon, datée de Mill-hill, près de Londres, le 3 juillet 1767.