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saumon fumé et laissé des cordes, des meubles et des ustensiles ; plus loin, il vit fuir des Américains à son aspect. Bientôt on aperçut du feu sur une colline assez éloignée : les sauvages sans doute s’y étaient retirés ; un rocher escarpé y couvrait leur retraite[1].

D’après l’exposé de ces faits, il est aisé de juger que ce ne sera jamais qu’en partant de Kamtschatka que les Russes pourront faire le commerce de la Chine et du Japon, et qu’il est aussi difficile, pour ne pas dire impossible, qu’aux autres nations de l’Europe de passer par les mers du nord-est, dont la plus grande partie est entièrement glacée : je ne crains donc pas de répéter que le seul passage possible est par le nord-ouest, au fond de la baie d’Hudson, et que c’est l’endroit auquel les navigateurs doivent s’attacher pour trouver ce passage si désiré et si évidemment utile.

Comme j’avais déjà livré à l’impression toutes les feuilles précédentes de ce volume, j’ai reçu de la part de M. le comte Schouvaloff, ce grand homme d’État que toute l’Europe estime et respecte, j’ai reçu, dis-je, en date du 27 octobre 1877, un excellent Mémoire composé par M. de Domascheneff, président de la Société impériale de Pétersbourg, et auquel l’impératrice a confié à juste titre le département qui a rapport aux sciences et aux arts. Cet illustre savant m’a en même temps envoyé une copie faite à la main de la carte du pilote Otcheredin, dans laquelle sont représentées les routes et les découvertes qu’il a faites, en 1770 et 1773, entre le Kamtschatka et le continent de l’Amérique ; M. de Domascheneff observe dans son Mémoire que cette carte du pilote Otcheredin est la plus exacte de toutes, celle qui a été donnée en 1773 par l’Académie de Pétersbourg doit être réformée en plusieurs points, et notamment sur la position des îles et le prétendu archipel, qu’on y a représenté entre les îles Aleutes ou Aleoutes et celles d’Anadir, autrement appelées îles d’Andrien. La carte du pilote Otcheredin semble démontrer en effet que ces deux groupes des îles Aleutes et des îles Andrien sont séparés par une mer libre de plus de cent lieues d’étendue. M. de Domascheneff assure que la grande carte générale de l’empire de Russie, qu’on vient de publier cette année 1777, représente exactement les côtes de toute l’extrémité septentrionale de l’Asie habitée par les Tschutschis ; il dit que cette carte a été dressée d’après les connaissances les plus récentes, acquises par la dernière expédition du major Pawluzki contre ce peuple. « Cette côte, dit M. de Domascheneff, termine la grande chaîne de montagnes, laquelle sépare toute la Sibérie de l’Asie méridionale, et finit en se partageant entre la chaîne qui parcourt le Kamtschatka et celles qui remplissent toutes les terres entre les fleuves qui coulent à l’est du Léna. Les îles reconnues entre les côtes du Kamtschatka et celles de l’Amérique sont montagneuses, ainsi que les côtes de Kamtschatka et celles du continent de l’Amérique : il y a donc une continuation bien marquée entre les chaînes de montagnes de ces deux continents, dont les interruptions, jadis peut-être moins considérables, peuvent avoir été élargies par le dépérissement de la roche, par des courants continuels qui entrent de la mer Glaciale vers la grande mer du Sud, et par les catastrophes du globe. »

Mais cette chaîne sous-marine qui joint les terres du Kamtschatka avec celles de l’Amérique est plus méridionale de sept ou huit degrés que celle des îles Anadir ou Adrien, qui, de temps immémorial, ont servi de passage aux Tschutschis pour aller en Amérique.

M. de Domascheneff dit qu’il est certain que cette traversée de la pointe de l’Asie au continent de l’Amérique se fait à la rame, et que ces peuples y vont trafiquer des ferrailles russes avec des Américains ; que les îles qui sont sur ce passage sont si fréquentes, qu’on peut coucher toutes les nuits à terre, et que le continent de l’Amérique où les Tschutschis commercent est montagneux et couvert de forêts peuplées de renards, de martres et de zibelines, dont ils rapportent des fourrures de qualités et de couleurs toutes

  1. Histoire générale des Voyages, t. XIX, p. 371 et suiv.