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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/224

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pect de l’homme, le fer homicide n’armera plus sa main ; le feu dévorant de la guerre ne fera plus tarir la source des générations ; l’espèce humaine maintenant affaiblie, mutilée, moissonnée dans sa fleur, germera de nouveau et se multipliera sans nombre ; la nature, accablée sous le poids des fléaux, stérile, abandonnée, reprendra bientôt avec une nouvelle vie son ancienne fécondité ; et nous, Dieu bienfaiteur, nous la seconderons, nous la cultiverons, nous l’observerons sans cesse pour vous offrir à chaque instant un nouveau tribut de reconnaissance et d’admiration. »



SECONDE VUE[NdÉ 1]

Un individu, de quelque espèce qu’il soit, n’est rien dans l’univers ; cent individus, mille, ne sont encore rien : les espèces sont les seuls êtres de la nature ; êtres perpétuels, aussi anciens, aussi permanents qu’elle[NdÉ 2] ; que pour mieux juger, nous ne considérons plus comme une collection ou une suite d’individus semblables, mais comme un tout indépendant du nombre, indépendant du temps ; un tout toujours vivant, toujours le même ; un tout qui a été compté pour un dans les ouvrages de la création, et qui par conséquent ne fait qu’une unité dans la nature. De toutes ces unités, l’espèce humaine est la première ; les autres, de l’éléphant jusqu’à la mite, du cèdre jusqu’à l’hysope, sont en seconde et en troisième ligne ; et quoique différentes par la forme, par la substance et même par la vie, chacune tient sa place, subsiste par elle-même, se défend des autres, et toutes ensemble composent et représentent la nature vivante, qui se maintient et se maintiendra comme elle s’est maintenue : un jour, un siècle, un âge, toutes les portions du temps ne font pas partie de sa durée ; le temps lui-même n’est relatif qu’aux individus, aux êtres dont l’existence est fugitive ; mais celle des espèces étant constante, leur permanence fait la durée, et leur différence le nombre. Comptons donc les espèces comme nous l’avons fait, donnons-leur à chacune un droit égal à la mense de la nature : elles lui sont toutes également chères, puisqu’à chacune elle a donné les moyens d’être et de durer aussi longtemps qu’elle.

  1. Cette seconde vue a été publiée par Buffon en 1765, en tête du XIIIe volume de l’édition in-4o de l’Imprimerie royale.
  2. Les idées émises ici par Buffon relativement à l’espèce sont tout à fait contradictoires de celles qu’il expose en maints endroits de ses œuvres. Il considère ici l’espèce comme « perpétuelle » et « permanente », tandis que dans tous les autres Mémoires, il insiste sur la facilité avec laquelle les espèces se transforment sous l’influence du climat, de la nourriture, etc. Pour ce motif et vu le style très ampoulé des « Vues de la nature », je pense qu’il ne faut voir dans ce que dit ici Buffon de l’espèce comparée à l’individu qu’une simple antithèse littéraire.