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liquéfaction causée par le feu. Or pour passer de ce premier état d’embrasement et de liquéfaction à celui d’une chaleur douce et tempérée, il a fallu du temps : le globe n’a pu se refroidir tout à coup au point où il est aujourd’hui. Ainsi dans les premiers temps après sa formation, la chaleur propre de la terre était infiniment plus grande que celle qu’elle reçoit du soleil, puisqu’elle est encore beaucoup plus grande aujourd’hui ; ensuite ce grand feu s’étant dissipé peu à peu, le climat du pôle a éprouvé, comme tous les autres climats, des degrés successifs de moindre chaleur et de refroidissement ; il y a donc eu un temps, et même une longue suite de temps pendant laquelle les terres du Nord, après avoir brûlé comme toutes les autres, ont joui de la même chaleur dont jouissent aujourd’hui les terres du Midi ; par conséquent les animaux qui ces terres septentrionales ont pu et dû être habitées par habitent actuellement les terres méridionales, et auxquels cette chaleur est nécessaire[NdÉ 1]. Dès lors le fait, loin d’être extraordinaire, se lie parfaitement avec les autres faits, et n’en est qu’une simple conséquence. Au lieu de s’opposer à la théorie de la terre que nous avons établie, ce même fait en devient au contraire une preuve accessoire qui ne peut que la confirmer dans le point le plus obscur, c’est-à-dire lorsqu’on commence à tomber dans cette profondeur du temps où la lumière du génie semble s’éteindre, et où, faute d’observations, elle paraît ne pouvoir nous guider pour aller plus loin.

Une sixième époque, postérieure aux cinq autres, est celle de la séparation des deux continents. Il est sûr qu’ils n’étaient pas séparés dans le temps du nord de l’Amérique, que les éléphants vivaient également dans les terres de l’Europe et de l’Asie : je dis également, car on trouve de même leurs ossements en Sibérie, en Russie et au Canada. La séparation des continents ne s’est donc faite que dans des temps postérieurs à ceux du séjour de ces animaux dans les terres septentrionales ; mais comme l’on trouve aussi des défenses d’éléphant en Pologne, en Allemagne, en France, en Italie[1], on doit en conclure qu’à mesure que les terres septentrionales se refroidissaient, ces animaux se retiraient vers les contrées des zones tempérées où la chaleur du soleil et la plus grande épaisseur du globe compensaient la perte de la chaleur intérieure de la terre ; et qu’enfin ces zones s’étant aussi trop refroidies avec le temps, ils ont successivement gagné les climats de la zone

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.
  1. On voit que Buffon attribue la température élevée dont jouissaient autrefois les pôles, à ce qu’alors la température propre de la terre était plus considérable qu’aujourd’hui. Cette opinion n’a plus cours. On admet généralement avec Lyell, que la température propre de la surface du globe n’a pas subi dans son ensemble de diminution sensible depuis l’époque où les êtres vivants que nous connaissons ont commencé à se développer. Pour expliquer les variations de température qui se sont produites aux diverses époques, notamment le climat chaud dont jouissait le pôle nord pendant la période tertiaire, on invoque surtout les changements qui ont été apportés dans le relief des divers parties de la surface de notre globe. Je ne veux pas insister ici sur cette question, qui a été traitée dans mon Introduction. [Note de Wikisource : Les carottages glaciaires effectués aux pôles ont permis, entre autres mesures, de retracer l’histoire du climat mondial, et montrent qu’au contraire la température moyenne du globe a grandement varié aux cours de son histoire. Pour expliquer ces variations, on doit évoquer, outre les paramètres cosmiques (voyez la note précédente) et l’histoire du relief, la dérive des continents : à l’échelle locale d’abord, les continents aujourd’hui polaires ont pu se trouver selon les périodes à des latitudes tropicales, et inversement ; à l’échelle planétaire surtout, l’ouverture et la fermeture de mers entre les continents ont influencé le climat global en modifiant le régime mondial des courants océaniques.]