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lequel la matière du ciel et de la terre existait sans forme déterminée, paraît avoir eu une longue durée, car écoutons attentivement la parole de l’interprète divin.


« La terre était informe et toute nue, les ténèbres couvraient la face de l’abîme, et l’esprit de Dieu était porté sur les eaux. »

La terre était, les ténèbres couvraient, l’esprit de Dieu était. Ces expressions, par l’imparfait du verbe, n’indiquent-elles pas que c’est pendant un long espace de temps que la terre a été informe et que les ténèbres ont couvert la face de l’abîme ? Si cet état informe, si cette face ténébreuse de l’abîme n’eussent existé qu’un jour, si même cet état n’eût pas duré longtemps, l’écrivain sacré, ou se serait autrement exprimé, ou n’aurait fait aucune mention de ce moment de ténèbres ; il eût passé de la création de la matière en général à la production de ses formes particulières, et n’aurait pas fait un repos appuyé, une pause marquée entre le premier et le second instant des ouvrages de Dieu. Je vois donc clairement que non seulement on peut, mais que même l’on doit, pour se conformer au sens du texte de l’Écriture sainte, regarder la création de la matière en général comme plus ancienne que les productions particulières et successives de ses différentes formes ; et cela se confirme encore par la transition qui suit.


« Or Dieu dit. »

Ce mot or suppose des choses faites et des choses à faire ; c’est le projet d’un nouveau dessein, c’est l’indication d’un décret pour changer l’état ancien ou actuel des choses en un nouvel état.


« Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite. »

Voilà la première parole de Dieu ; elle est si sublime et si prompte qu’elle nous indique assez que la production de la lumière se fit en un instant ; cependant la lumière ne parut pas d’abord ni tout à coup comme un éclair universel, elle demeura pendant du temps confondue avec les ténèbres, et Dieu prit lui-même du temps pour la considérer ; car, est-il dit :


« Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière d’avec les ténèbres. »

L’acte de la séparation de la lumière d’avec les ténèbres est donc évidemment distinct et physiquement éloigné par un espace de temps de l’acte de sa production ; et ce temps, pendant lequel il plut à Dieu de la considérer pour voir qu’elle était bonne, c’est-à-dire utile à ses desseins ; ce temps, dis-je, appartient encore et doit s’ajouter à celui du chaos qui ne commença à se débrouiller que quand la lumière fut séparée des ténèbres.

Voilà donc deux temps, voilà deux espaces de durée que le texte sacré