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ne sont pas gelisses, et dont la cohérence des grains est si forte que l’expansion de l’eau gelée dans leurs interstices n’a pas assez de force pour les désunir, tandis que dans d’autres pierres plus pesantes et moins poreuses cet effet de la gelée est assez violent pour les diviser et même pour les réduire en écailles et en sables.

Pour expliquer ce fait, auquel peu de gens ont fait attention, il faut se rappeler que toutes les pierres calcaires sont composées ou des détriments des coquilles, ou des sables et graviers provenant des débris des pierres précédemment formées de ces mêmes détriments liés ensemble par un ciment, qui n’est lui-même qu’un extrait de ce qu’il y a de plus homogène et de plus pur dans la matière calcaire : lorsque ce suc lapidifique en a rempli tous les interstices, la pierre est alors aussi dense, aussi solide et aussi pleine qu’elle peut l’être ; mais quand ce suc lapidifique, en moindre quantité, n’a fait que réunir les grains sans remplir leurs intervalles, et que les grains eux-mêmes n’ont pas été pénétrés de cet élément pétrifiant, qu’enfin ils n’ont pas encore été pierre compacte, mais une simple craie ou poussière de coquilles dont la cohésion est faible, l’eau se glaçant dans tous les petits vides de ces pierres, qui s’en imbibent aisément, rompt tout aussi aisément les liens de leur cohésion, et les réduit en assez peu de temps en écailles et en sables, tandis qu’elle ne fait aucun effet avec les mêmes efforts contre la ferme cohérence des pierres, toutes aussi poreuses, mais dont les grains précédemment pétrifiés ne peuvent ni s’imbiber, ni se gonfler par l’humidité, et qui, se trouvant liés ensemble par le suc pierreux, résistent sans se désunir à la force expansive de l’eau qui se glace dans leurs interstices[1].

En observant la composition des pierres dans les couches d’ancienne formation, nous

  1. Les différents degrés de dureté des pierres et la résistance plus ou moins grande qu’elles opposent à l’effet de la gelée ne dépendent pas toujours de leur densité ; il y a des pierres très pesantes et très dures dont le grain est très fin, telles que l’albâtre, les marbres blancs, qui sont cependant très tendres ; il y en a d’autres à gros grains aussi très compactes, dans lesquelles on aperçoit même quantité de facettes brillantes, mais qui cependant n’ont qu’une médiocre dureté, et que la gelée fait éclater lorsqu’elles s’y trouvent exposées avant que d’avoir été suffisamment desséchées… Les pierres que la gelée fait éclater s’imbibent d’eau et sont poreuses ; mais ce n’est pas seulement parce qu’elles sont poreuses que la gelée les décompose avec le temps, il s’en trouve qui le sont autant que les pierres ponces, et qui résistent cependant comme celles-ci aux plus fortes gelées, parce que la qualité du gravier dont elles sont formées et du ciment qui les lie est telle que la force d’expansion de l’eau gelée dans leurs interstices n’en peut forcer la résistance ; les pierres que la gelée fait fendre et éclater, ou sont produites par une terre crétacée qui n’a d’autre adhérence que celle que lui procure le dessèchement et la juxtaposition de ses parties constituantes, et dont le grain n’est presque point apparent, ou elles sont formées de graviers extrêmement fins roulés et arrondis, qui, vus de près, ressemblent à des œufs de poisson unis par une poussière pierreuse, ce qui a fait donner à ces sortes de pierres le nom d’ammites ; elles sont ordinairement blanches, toujours tendres, leur cassure est mate et sans points brillants, et à ces caractères on distinguera d’une manière sûre les pierres que la gelée fait éclater de celles qui y résistent… Ces pierres sont formées ou de matières lapidifiques décomposées, mais qui ne sont pas liées par le suc pierreux, ou de matières propres en effet à entrer dans la composition des pierres, mais qui n’ont pas encore été pierres, qui n’ont pas passé de la pierre au gravier, et du gravier à la pierre… Les pierres au contraire qui résistent à la gelée sont ordinairement dures, souvent aigres et cassantes, leurs molécules sont serrées et très adhérentes, et, soit que leur coupe ou cassure soit lisse ou grenue, elles sont toujours parsemées de points brillants ; mais ces pierres ne sont telles que parce qu’elles sont composées de matières combinées depuis longtemps sous cette forme, que parce qu’elles ne sont qu’un amas de graviers qui ont été pierres, liés par des concrétions de même nature, plus pures et plus homogènes encore que ces mêmes graviers. (Note communiquée par M. Nadault.)