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de concourir à la végétation par leur ductilité : ces caractères communs sont cause que ni les minéralogistes, ni même les chimistes, ne les ont pas assez distinguées, et que l’on trouve en plusieurs endroits de leurs écrits le nom de terre argileuse, au lieu de celui de terre limoneuse. Cependant il est très essentiel de ne les pas confondre, et de convenir avec nous que les terres primitives et simples peuvent se réduire à trois : l’argile, la craie et la terre limoneuse, qui toutes trois diffèrent par leur essence autant que par leur origine.

Et quoique la craie ou terre calcaire puisse être regardée comme une terre animale, puisqu’elle n’a été produite que par les détriments des coquilles, elle est néanmoins plus éloignée que l’argile de la nature de la terre végétale ; car cette terre calcaire ne devient jamais aussi ductile : elle se refuse longtemps à toute fécondation ; la sécheresse de ses molécules est si grande, et les principes organiques qu’elle contient sont en si petite quantité, que par elle-même elle demeurerait stérile à jamais, si le mélange de la terre végétale ou de l’argile ne lui communiquait pas les éléments de la fécondation. Nous avons déjà eu occasion d’observer que les pays de craie et de pierre calcaire sont beaucoup moins fertiles que ceux d’argile et de cailloux vitreux : ces mêmes cailloux, loin de nuire à la fécondité, y contribuent en se décomposant ; leur surface blanchit à l’air, et s’exfolie avec le temps en poussière douce et ductile ; et comme cette poussière se trouve en même temps imprégnée du limon des rosées et des pluies, elle forme bientôt une excellente terre végétale, au lieu que la pierre calcaire, quoique réduite en poudre, ne devient pas ductile, mais demeure aride, et n’acquiert jamais autant d’affinité que l’argile avec la terre végétale : il lui faut donc beaucoup plus de temps qu’à l’argile pour s’atténuer au point de devenir féconde. Au reste, toute terre purement calcaire, et tout sable encore aigre et purement vitreux, sont à peu près également impropres à la végétation, parce que le sable vitreux et la craie ne sont pas encore assez décomposés, et n’ont pas acquis le degré de ductilité nécessaire pour entrer seuls dans la composition des êtres organisés.

Et comme l’air et l’eau contribuent beaucoup plus que la terre à l’accroissement des végétaux, et que des expériences bien faites nous ont démontré que dans un arbre, quelque solide qu’il soit, la quantité de terre qu’il a consommée pour son accroissement ne fait qu’une très petite portion de son poids et de son volume, il est nécessaire que la majeure et très majeure partie de sa masse entière ait été formée par les trois autres éléments, l’air, l’eau et le feu : les particules de la lumière et de la chaleur se sont fixées avec les parties aériennes et aqueuses pendant tout le temps du développement de toutes les parties du végétal. Le terreau et le limon sont donc produits originairement par ces trois premiers éléments combinés avec une très petite portion de terre : aussi la terre végétale contient-elle très abondamment et très évidemment tous les principes des quatre éléments réunis aux molécules organiques, et c’est par cette raison qu’elle devient la mère de tous les êtres organisés et la matrice de tous les corps figurés.

J’ai rapporté, dans mon Mémoire sur la force du bois[1], des essais sur différentes terres dont j’avais fait remplir de grandes caisses, et dans lesquelles j’ai semé des graines de plusieurs arbres : ces épreuves suffisent pour démontrer que ni les sables calcaires, ni les argiles, ni les terreaux trop nouveaux, ni les fumiers, tous pris séparément, ne sont propres à la végétation ; que les graines les plus fortes, telles que les glands, ne poussent que de très faibles racines dans toutes ces matières, où ils ne font que languir et périssent bientôt : la terre végétale elle-même, lorsqu’elle est réduite en parfait limon et en bol, est alors trop compacte pour que les racines des plantes délicates puissent y pénétrer ; la meilleure terre, après la terre de jardin, est celle qu’on appelle terre franche, qui n’est ni trop massive, ni trop légère, ni trop grasse, ni trop maigre, qui peut admettre l’eau des

  1. Voyez t. XI de cette édition.