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et coquillages. Dès lors on peut penser que les sédiments argileux qui ont formé les ardoises à cette plus grande profondeur, n’auront pu saisir en se déposant que ces espèces, en petit nombre, de poissons ou de coquillages qui habitent les bas-fonds, tandis que les argiles qui sont situées plus haut que les ardoises, auront enveloppé tous les coquillages des rivages et des hauts-fonds, où ils se trouvent en bien plus grande quantité[1].

Nous ajouterons aux propriétés de l’ardoise, que, quoiqu’elle soit moins dure que la plupart des pierres calcaires, il faut néanmoins employer la masse et les coins pour la tirer de sa carrière ; que la bonne ardoise ne fait pas effervescence avec les acides, et qu’aucune ardoise ni aucun schiste ne se réduit en chaux, mais qu’ils se convertissent par un feu violent en une sorte de verre brun, souvent assez spumeux pour nager sur l’eau. Nous observerons aussi qu’avant de se vitrifier, ils brûlent en partie en exhalant une odeur bitumineuse ; et enfin que, quand on les réduit en poudre, celle de l’ardoise est douce au toucher comme la poussière de l’argile séchée, mais que cette poudre d’ardoise, détrempée avec de l’eau, ne reprend pas en se séchant sa dureté, ni même autant de consistance que l’argile.

Le même mélange de bitume et de mica, qui donne à l’ardoise sa solidité, fait en même temps qu’elle ne peut s’imbiber d’eau ; aussi lorsqu’on veut éprouver la qualité d’une ardoise, il ne faut qu’en faire tremper dans l’eau le bord d’une feuille suspendue verticalement ; si l’eau n’est pas pompée par la succion capillaire, et qu’elle n’humecte pas l’ardoise au-dessus de son niveau, on aura la preuve de son excellente qualité, car les mauvaises ardoises, et même la plupart de celles qu’on emploie à la couverture des bâtiments, sont encore spongieuses et s’imbibent plus ou moins de l’humidité, en sorte que la feuille d’ardoise, dont le bord est plongé dans l’eau, s’humectera à plus ou moins de hauteur en raison de sa bonne ou mauvaise qualité[2] : la bonne ardoise peut se polir, et on en fait des tables de toutes dimensions ; on en a vu de dix à douze pieds en longueur sur une largeur proportionnée.

Quoiqu’il y ait des schistes plus ou moins durs, cependant on doit dire qu’en général ils sont encore plus tendres que l’ardoise, et que la plupart sont d’une couleur moins

  1. Il se trouve aussi, quoique rarement, des poissons pétrifiés dans les substances calcaires au-dessus des montagnes ; mais les espèces de ces poissons ne sont pas inconnues ou perdues, comme celles qui se trouvent dans les ardoises. M. Ferber rapporte qu’on trouve dans la collection de M. Moreni, de Vérone, le poisson ailé et quelques poissons du Brésil, qui ne vivent ni dans la Méditerranée ni dans le golfe Adriatique, la pinne marine, des os d’animaux, des plantes exotiques, pétrifiées et imprimées sur un schiste calcaire, toutes tirées de la montagne du Véronais appelée Monte-Bolca. (Lettres sur la minéralogie, par M. Ferber, p. 27.) — Observons que ces poissons, dont les analogues vivants existent encore, n’ont été pétrifiés que bien longtemps après ceux dont les espèces sont perdues ; aussi se trouvent-ils au-dessus des montagnes, tandis que les autres ne se trouvent que dans les ardoises à de grandes profondeurs.
  2. M. Samuel Colepress dit que l’ardoise d’Angleterre dure très longtemps, et qu’il en reste sur les maisons pendant plusieurs siècles. « Pour connaître, dit-il, la bonne ardoise, prenez : 1o la pierre coupée fort mince, frappez-la contre quelque matière dure : s’il en sort un son clair, cette pierre n’est point fêlée, mais solide et bonne ; 2o lorsqu’on la coupe, il ne faut pas qu’elle se brise sous le tranchant ; 3o si, après avoir été dans l’eau pendant deux, quatre et même huit heures, elle pèse plus étant bien essuyée qu’auparavant, c’est une preuve qu’elle s’imbibe d’eau et qu’elle ne peut durer longtemps ; 4o la bleue tirant sur le noir prend volontiers l’eau ; celle qui est d’un bleu léger est toujours la plus compacte et la plus solide : au toucher, elle doit paraître dure et raboteuse, et non soyeuse ; 5o si, étant plongée la moitié dans l’eau pendant une journée entière, elle n’attire pas l’eau au-dessus de six lignes de son niveau, ce sera une preuve que l’ardoise est d’une contexture ferme. » (Collection académique, partie étrangère, t. IV, p. 10 et 11.)