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DE LA CRAIE

Jusqu’ici nous n’avons parlé que des matières qui appartiennent à la première nature : le quartz, le jaspe, les porphyres, les granits, produits immédiats du feu primitif ; les grès, les argiles, les schistes, les ardoises, détriments de ces premières substances, et qui, quoique transportés, pénétrés, figurés par les eaux, et même mélangés des premières productions de ce second élément, n’en appartiennent pas moins à la grande masse primitive des matières vitreuses, lesquelles dans cette première époque composaient seules le globe entier. Maintenant, considérons les matières calcaires qui se trouvent eu si grande quantité, et en tant d’endroits sur cette première surface du globe, et qui sont proprement l’ouvrage de l’eau même et son produit immédiat : c’est dans cet élément que se sont en effet formées ces substances qui n’existaient pas auparavant, qui n’ont pu se produire que par l’intermède de l’eau, et qui non seulement ont été transportées, entassées et disposées par ses mouvements, mais même ont été combinées, composées et produites dans le sein de la mer.

Cette production d’une nouvelle substance pierreuse par le moyen de l’eau est un des plus étonnants ouvrages de la nature, et en même temps un des plus universels ; il tient à la génération la plus immense peut-être qu’elle ait enfantée dans sa première fécondité : cette génération est celle des coquillages, des madrépores, des coraux et de toutes les espèces qui filtrent le suc pierreux et produisent la matière calcaire, sans que nul autre agent, nulle autre puissance particulière de la nature, puisse ou ait pu former cette substance. La multiplication de ces animaux à coquilles est si prodigieuse, qu’en s’amoncelant ils élèvent encore aujourd’hui en mille endroits des récifs, des bancs, des hauts-fonds, qui sont les sommets des collines sous-marines, dont la base et la masse sont également formées de l’entassement de leurs dépouilles[1]. Et combien dut être encore plus

  1. « Toutes les îles basses du tropique austral semblent avoir été produites par des animaux du genre des polypes, qui forment les lithophytes ; ces animalcules élèvent peu à peu leur habitation de dessus une base imperceptible, qui s’étend de plus en plus, à mesure que sa structure s’élève davantage. J’ai vu de ces larges structures à tous les degrés de leur construction. » Observations de Forster, à la suite du Second Voyage du capitaine Cook, p. 135. — « Ces îles sont généralement liées les unes aux autres par des récifs de rochers de corail. » Idem, ibid. — « Nous découvrîmes les îles, vues par M. de Bougainville, par les 17° 24′ latitude, et 141° 39′ longitude ouest : une de ces îles basses, à moitié submergée, n’était qu’un grand banc de corail, de vingt lieues de tour. » Cook, Second Voyage, t. Ier, p. 293. — « On rencontra une ceinture de petites îles, jointes ensemble par un récif de rochers de corail. » Idem, t. II, p. 285. — « Nous abordâmes à l’île Sauvage (une de celles des Amis) ; ses bords n’étaient que des rochers de corail. » Idem, t. III, p. 10. — Cette multitude d’îles basses et de bancs sur lesquels se perdit le navigateur Roggevin ont été revus et reconnus par MM. Byron et Cook ; toutes ces îles ne sont soutenues que par des bancs de corail, élevés du fond de la mer jusqu’à sa surface. (Voyez le chapitre xi de la Relation du Second Voyage du capitaine Cook, traduction française, t. II, p. 275.) Ce fait étonnant a été si bien vu par ces bons observateurs qu’on ne peut le révoquer en doute, et il fournit à M. Forster cette réflexion frappante : « Le petit ver, dont le corail est l’ouvrage et qui paraît si insensible qu’on le distingue à peine d’une plante, agrandit son habitation, et construit un édifice de roches, depuis un point du fond de la mer, que l’art humain ne peut pas mesurer, jusqu’à la surface des flots ; il prépare ainsi une base à la résidence de l’homme. » Forster, Second Voyage de Cook, t. II, p. 283. — Voyez de plus toutes les relations des navigateurs sur les sondes tombées sur des rochers de coquillages