Il y a donc du sel dans presque tous les pays du monde[1], soit en masses solides à l’intérieur de la terre, soit en poudre cristallisée à sa surface, soit en dissolution dans les eaux courantes ou stagnantes. Le sel en masse ou en poudre cristallisée ne coûte que la peine de le tirer de sa mine ou celle de le recueillir sur la terre ; celui qui est dissous dans l’eau ne peut s’obtenir que par l’évaporation, et dans les pays où les matières combustibles sont rares, on peut se servir avantageusement de la chaleur du soleil, et même l’augmenter par des miroirs ardents, lorsque la masse de l’eau salée n’est pas considérable ; et l’on a observé que les vents secs font autant et peut-être plus d’effet que le soleil sur la surface des marais salants. On voit, par le témoignage de Pline, que les Germains et les Gaulois tiraient le sel des fontaines salées par le moyen du feu[2] ; mais le bois ne leur coûtait rien, ou si peu qu’ils n’ont pas eu besoin de recourir à d’autres moyens : aujourd’hui, et même depuis plus d’un siècle, on fait le sel en France par la seule évaporation, en attirant l’eau de la mer dans de grands terrains qu’on appelle des marais salants. M. Montel a donné une description très exacte des marais salants de Pécais, dans le bas Languedoc[3] ; on peut en lire l’extrait dans la note ci-dessous : on ne
- ↑ Les voyageurs nous disent qu’au pays d’Asem, aux Indes orientales, le sel naturel manque absolument, et que les habitants y suppléent par un sel artificiel. « Pour cet effet, ils prennent de grandes feuilles de la plante qu’on nomme aux Indes figuier d’Adam ; ils les font sécher, et, après les avoir fait brûler, les cendres qui restent sont mises dans l’eau, qui en adoucit l’âpreté ; on les y remue pendant dix à douze heures, après quoi l’on passe cette eau au travers d’un linge, et on la fait bouillir : à mesure qu’elle bout, le fond s’épaissit, et quand elle est consumée, on y trouve pour sédiment au fond du vase un sel blanc et assez bon ; mais c’est là le sel des riches, et les pauvres de ce pays en emploient d’un ordre fort inférieur. Pour le faire, on ramasse l’écume verdâtre qui s’élève sur les eaux dormantes et en couvre la superficie ; on fait sécher cette matière, on la brûle, et les cendres qui en proviennent étant bouillies, il en vient une espèce de sel, que le commun peuple d’Asem emploie aux mêmes usages que nous employons le nôtre. » Académie des sciences de Berlin, année 1745, p. 73.
- ↑ « Galliæ, Germaniæque ardentibus lignis aquam salsam infundunt. » Pline, lib. xxxi, cap. i, sect. 39.
- ↑ Ces salines de Pécais sont situées à une lieue et demie d’Aigues-Mortes, dans une plaine dont l’étendue est d’environ une lieue et demie en tout sens : ce terrain est presque tout sablonneux et limoneux, mêlé avec un débris de coquillages que la mer y a jeté… Ce terrain est coupé de canaux creusés exprès pour la facilité du transport des sels, qui ne se fait qu’en hiver ou dans des barques ; on le dépose dans le grand entrepôt pour le compte du roi…
On compte dix-sept salines dans tout le terrain de Pécais ; mais il n’y en a que douze qui soient en valeur, et toutes sont éloignées de la mer d’environ deux mille toises. Ce terrain de Pécais est plus bas que les étangs, qui sont séparés de la mer par une plage, et qui communiquent avec elle par quelques ouvertures ; il est aussi plus bas que le bras du Rhône qui passe à Saint-Gilles, dont on a tiré un canal qui arrive à Pécais : il y a des digues, tant du côté de ce bras du Rhône que du côté des étangs, pour empêcher les inondations…
Toute l’eau dont on se sert dans les douze salines vient des étangs… Ces salines sont divisées en compartiments de cinquante, cent, etc., arpents chacun ; plus ils sont grands et plus la récolte de sel est abondante, parce que l’eau salée qui vient des étangs parcourt plus d’espace et a plus de temps pour s’évaporer… C’est au commencement de mai que l’on fait les premiers travaux, en divisant les grands compartiments en d’autres plus petits : cette séparation se fait par le moyen des bâtardeaux, des piquets, des fascines et de la terre… On
voyageur Narborough vit, en 1669, un marais qui n’avait pas moins de deux milles de long, et sur lequel il trouva deux pouces d’épaisseur d’un sel très blanc, qu’on aurait pris de loin pour un pavé fort uni : ce sel était également agréable au palais et à l’odorat. Histoire générale des voyages, t. XI, p. 36. George Anson dit la même chose dans son Voyage autour du monde, p. 58.