Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/180

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vingt-quatre heures, au moyen de ces opérations répétées, est d’environ cent livres dans trois vaisseaux de plomb des dimensions ci-dessus : on donne d’abord un feu assez fort, et on le continue ainsi jusqu’à ce qu’il se forme une petite fleur de sel sur l’écume de cette eau, on enlève alors cette écume et on ralentit le feu ; l’évaporation étant achevée, on remue le sel avec une pelle pour le dessécher, on le jette dans des paniers en forme d’entonnoir où il peut s’égoutter : ce sel, quoique tiré par le moyen du feu et dans un pays où le bois est cher, ne se vend guère que trois livres dix sous les cinquante livres pesant[1]. Il y a aussi en Bretagne soixante petites fabriques de sel par évaporation, tiré des vases et sables de la mer, dans lesquels on mêle un tiers de sable gris pour le purifier, et porter les liqueurs à quinze sur cent.

On fait aussi du sel en grand dans quelques cantons de cette même province de Bretagne ; on tire des marais salants de la baie de Bourganeuf seize ou dix-sept mille muids de sel, et l’on estime que ceux de Guérande et du Croisic produisent, année commune, environ vingt-cinq mille muids[2].

En Franche-Comté, en Lorraine et dans plusieurs autres contrées de l’Europe et des autres parties du monde, le sel se tire de l’eau des fontaines salées. M. de Montigny, de l’Académie des sciences, a donné une bonne description des salines de la Franche-Comté, et du travail qu’elles exigent ; voici l’extrait de ses observations : « Les eaux, dit M. de Montigny, de tous les puits salés, tant de Salins que de Montmorot, contiennent en dissolution, avec le sel marin ou sel gemme, des gypses ou sélénites gypseuses, des sels composés de l’acide vitriolique engagé dans une base terreuse, du sel de Glauber, des sels déliquescents, composés de l’acide marin engagé dans une base terreuse ; une terre alcaline très blanche que l’on sépare du sel gemme, lorsqu’on le tient longtemps en fusion dans un creuset ; enfin une espèce de glaise très fine, et quelques parties grasses, bitumineuses, ayant une forte odeur de pétrole. Toutes ces eaux portent un principe alcalin surabondant… Elles ne sont point mêlées de vitriols métalliques…

» Les sels en petits grains, ainsi que les sels en pain, se sont également trouvés chargés d’un alcali terreux… Ainsi ces sels ne sont pas comme le sel marin dans un état de neutralité parfaite.

» Le sel à gros grains de Montmorot est le seul que nous ayons trouvé parfaitement neutre… Ce sel à gros grains est tiré des mêmes eaux que le sel à petits grains, mais il est formé par une évaporation beaucoup plus lente ; il vient en cristaux plus gros, très réguliers, et en même temps beaucoup plus purs… Si les eaux des fontaines salées ne contenaient que du sel gemme en dissolution, l’évaporation de ces eaux, plus lente ou plus prompte, n’influerait en rien sur la pureté du sel… On ne peut donc séparer les matières étrangères de ces sels de Franche-Comté que par une très lente évaporation, et cependant c’est avec les sels à petits grains, faits par une très prompte évaporation, que l’on fabrique tous les sels en pains, dont l’usage est général dans toute la Franche-Comté… On met les pains de sel qu’on vient de fabriquer sur des lits de braises ardentes où ils restent pendant vingt-cinq, trente et même quarante heures, jusqu’à ce qu’ils aient acquis la sécheresse et la dureté nécessaires pour résister au transport[3]… Le mélange de sel de Glauber, de gypse, de bitume et de sel marin à base terreuse, qui vient par la réduction de ces eaux, est d’une amertume inexprimable…

  1. Voyez le Mémoire de M. Guettard, depuis la page 99 jusqu’à 116.
  2. Observations d’histoire naturelle, par M. le Monnier, t. IV, p. 432.
  3. Nous devons observer que cette pratique de mettre le sel à l’exposition du feu, pour le durcir, est très préjudiciable à la pureté et à la qualité du sel :

    1o Parce que, pour mouler le sel, il faut qu’il soit humecté de son eau mère, que le feu ne fait que dessécher en agglutinant la masse saline, et cette eau mère est une partie impure qui reste dans le sel ;