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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/318

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boue liquide qu’on laisse sécher, et pendant qu’elle est encore molle on en fait des caxons, c’est-à-dire de grandes tables d’un pied d’épaisseur, et de vingt-cinq quintaux de pesanteur ; on jette sur chacune deux cents livres de sel marin qu’on laisse s’incorporer pendant deux ou trois jours avec la terre ; ensuite on l’arrose de mercure qu’on fait tomber par petites gouttes ; il en faut une quantité d’autant plus grande que le minerai est plus riche, dix, quinze et quelquefois vingt livres pour chaque table. Ce mercure ramasse toutes les particules de l’argent. On pétrit chaque table huit fois par jour, pour que le mercure les pénètre en entier, et afin d’échauffer le mélange ; car un peu de chaleur est nécessaire pour que le mercure se saisisse de l’argent, et c’est ce qui fait qu’on est quelquefois obligé d’ajouter de la chaux pour augmenter la chaleur de cette mixtion ; mais il ne faut user de ce secours qu’avec une grande précaution ; car si la chaux produit trop de chaleur, le mercure se volatilise, et emporte avec lui une partie de l’argent. Dans les montagnes froides, comme à Lipès et à Potosi, on est quelquefois obligé de pétrir le minerai pendant deux mois de suite, au lieu qu’il ne faut que huit ou dix jours dans les contrées plus tempérées : on est même forcé de se servir de fourneaux pour échauffer le mélange et presser l’amalgame du mercure de ces contrées où le froid est trop grand ou trop constant.

Pour reconnaître si le mercure a fait tout son effet, on prend une petite portion de la grande table ou caxon, on la délaie et lave dans un bassin de bois ; la couleur du mercure qui reste au fond indique son effet : s’il est noirâtre, on juge que le mélange est trop chaud et on ajoute du sel au caxon pour le refroidir ; mais si le mercure est blanchâtre ou blanc, on peut présumer que l’amalgame est fait en entier ; alors on transporte la matière du caxon dans les lavoirs où tombe une eau courante ; on la lave jusqu’à ce qu’il ne reste que le métal sur le fond des lavoirs qui sont garnis de cuir. Cet amalgame d’argent et de mercure, que l’on nomme pella, doit être mis dans des chausses de laine pour laisser égoutter le mercure ; on serre ces chausses et on les presse même avec des pièces de bois pour l’en faire sortir autant qu’il est possible ; après quoi, comme il reste encore beaucoup de mercure mêlé à l’argent, on verse cet amalgame dans un moule de bois en forme de pyramide tronquée à huit pans, et dont le fond est une plaque de cuivre percée de plusieurs petits trous. On foule et presse cette matière pella dans ces moules pour en faire des masses qu’on appelle pignes. On lève ensuite le moule, et l’on met la pigne avec sa base de cuivre sur un grand vase de terre rempli d’eau et sous un chapiteau de même terre, sur lequel on fait un feu de charbon qui fait sortir en vapeurs le mercure contenu dans la pigne ; cette vapeur tombe dans l’eau et y reprend la forme de mercure coulant : après cela, la pigne n’est plus qu’une masse poreuse, friable et composée de grains d’argent contigus qu’on porte à la monnaie pour la fondre[1].

Frézier ajoute à cette description dont je viens de donner l’extrait quelques autres faits intéressants sur la différence des mines ou minerais d’argent : celui qui est blanc et gris, mêlé de taches rousses ou bleuâtres, est le plus commun dans les minières de Lipès ; on y distingue à l’œil simple des grains d’argent quelquefois disposés dans la pierre en forme de petites palmes. Mais il y a d’autres minerais où l’argent ne paraît point, entre autres un minerai noir, dans lequel on n’aperçoit l’argent qu’en raclant ou entamant sa surface ; ce minerai, qui a si peu d’apparence et qui souvent est mêlé de plomb, ne laisse pas d’être souvent plus riche et coûte moins à travailler que le minerai blanc ; car, comme il contient du plomb qui enlève à la fonte toutes les impuretés, l’on n’est pas obligé d’en faire l’amalgame avec le mercure : c’était de ces minières d’argent noir que les anciens Péruviens tiraient leur argent. Il y a d’autres minerais d’argent de couleurs différentes, un qui est noir, mais devient rouge en le mouillant ou le grattant avec du fer ; il est riche, et

  1. Frézier, Histoire générale des Voyages, t. XIII, p. 59.