Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/390

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n’ayant qu’une faible adhérence entre elles, tout contact suffit pour les séparer, et plus l’attraction étrangère surpassera l’attraction réciproque et mutuelle de ces parties constituantes de l’eau, plus les matières étrangères l’attireront puissamment et se mouilleront profondément. Le mercure, par sa très grande fluidité, mouillerait et pénétrerait tous les corps solides de la nature, si la force d’attraction, qui s’exerce entre ses parties en proportion de leur densité, ne les tenait pour ainsi dire en masse et ne les empêchait par conséquent de se séparer et de se répandre en molécules assez petites pour pouvoir entrer dans les pores des substances solides : la seule différence entre le mercure et l’eau, dans l’action de mouiller, ne vient donc que du plus ou moins de cohérence dans l’agrégation de leurs parties constituantes, et ne consiste qu’en ce que celles de l’eau se séparent les unes des autres bien plus facilement que celles du mercure.

Ainsi ce minéral, fluide comme l’eau, se glaçant comme elle par le froid, se réduisant comme elle en vapeurs par le chaud, mouillant les métaux comme elle mouille les sels et les terres, pénétrant même la substance des huiles et des graisses, et entrant avec elles dans le corps des animaux, comme l’eau entre dans les végétaux, a de plus avec elle un rapport qui suppose quelque chose de commun dans leur essence ; c’est de répandre, comme l’eau, une vapeur qu’on peut regarder comme humide : c’est par cette vapeur que le mercure blanchit et pénètre l’or sans le toucher, comme l’humidité de l’eau répandue dans l’air pénètre les sels ; tout concourt donc, ce me semble, à prouver que le mercure n’est pas un vrai métal, ni même un demi-métal, mais une eau chargée des parties les plus denses de la terre ; comme les demi-métaux ne sont que des terres chargées, de même, d’autres parties denses et pesantes qui les rapprochent de la nature des métaux.

Après avoir exposé les rapports que le mercure peut avoir avec l’eau, nous devons aussi présenter ceux qu’il a réellement avec les métaux : il en a la densité, l’opacité, le brillant métallique, il peut de même être dissous par les acides, précipité par les alcalis ; comme eux, il ne contracte aucune union avec les matières terreuses, et, comme eux encore, il en contracte avec les autres métaux ; et si l’on veut qu’il soit métal, on pourrait même le regarder comme un troisième métal parfait, puisqu’il est presque aussi inaltérable que l’or et l’argent par les impressions des éléments humides. Ces propriétés relatives et communes le rapprochent donc encore plus de la nature du métal qu’elles ne l’éloignent de celle de l’eau, et je ne puis blâmer les alchimistes qui, voyant toutes ces propriétés dans un liquide, l’ont regardé comme l’eau des métaux, et particulièrement comme la base de l’or et de l’argent dont il approche par sa densité, et auxquels il s’unit avec un empressement qui tient du magnétisme, et encore parce qu’il n’a, comme l’or et l’argent, ni odeur ni saveur : enfin, on n’est pas encore bien assuré que ce liquide si dense n’entre pas comme principe dans la composition des métaux, et qu’on ne puisse le retirer d’aucun minéral métallique. Recherchons donc, sans préjugé, quelle peut être l’essence de ce minéral amphibie, qui participe de la nature du métal et de celle de l’eau ; rassemblons les principaux faits que la nature nous présente, et ceux que l’art nous a fait découvrir sur ses différentes propriétés avant de nous arrêter à notre opinion.

Mais ces faits paraissent d’abord innombrables : aucune matière n’a été plus essayée, plus maniée, plus combinée ; les alchimistes surtout, persuadés que le mercure ou la terre mercurielle était la base des métaux, et voyant qu’il avait la plus grande affinité avec l’or et l’argent, ont fait des travaux immenses pour tâcher de le fixer, de le convertir, de l’extraire ; ils l’ont cherché non seulement dans les métaux et minéraux, mais dans toutes les substances et jusque dans les plantes ; ils ont voulu ennoblir, par son moyen, les métaux imparfaits, et, quoiqu’ils aient presque toujours manqué le but de leurs recherches, ils n’ont pas laissé de faire plusieurs découvertes intéressantes. Leur objet principal n’était pas absolument chimérique, mais peut-être moralement impossible à atteindre ; car rien