lieu que, dans le cristal d’Islande, la double réfraction a lieu dans tous les sens : la cause de cette différence consiste en ce que les lames qui composent le cristal d’Islande se croisent verticalement, au lieu que les lames du cristal de roche sont toutes posées dans le même sens ; et ce qu’on voit encore avec quelque surprise, c’est que cette séparation de la lumière qui ne se fait que dans un sens en traversant le cristal de roche, et qui s’opère dans tous les sens en traversant le cristal d’Islande, ne se borne pas dans ce spath, non plus que dans les autres spaths calcaires, et même dans les gypses, à une double réfraction, et que souvent, au lieu de deux réfractions, il y en a trois, quatre, et même un nombre encore plus grand, selon que ces pierres transparentes sont plus ou moins composées de couches de densité différente ; car tous les liquides transparents et tous les solides qui, comme le verre ou le diamant, sont d’une substance simple, homogène et également dense, ne donnent qu’une seule réfraction ordinairement proportionnelle à leur densité, et qui n’est plus grande que dans les substances inflammables ou combustibles, telles que le diamant, l’esprit-de-vin, les huiles transparentes, etc.
Quoique j’aie fait plusieurs expériences sur les propriétés de ce spath d’Islande, je n’ai pu m’assurer du nombre de ces réfractions ; elles m’ont quelquefois paru triples, quadruples et même sextuples ; et M. l’abbé de Rochon, savant physicien de l’Académie, qui s’est occupé de cet objet, m’a assuré que certains cristaux d’Islande formaient non seulement deux, trois ou quatre spectres à la lumière solaire, mais quelquefois huit, dix et même jusqu’à vingt et au delà : ces cristaux ou spaths calcaires sont donc composés d’autant de couches de densité différente qu’il y a d’images produites par les diverses réfractions.
Et ce qui prouve encore que le spath d’Islande est composé de couches ou lames d’une densité très différente, c’est la grande force de séparation ou d’écartement de la lumière dont on peut juger par l’étendue des images ; l’un des spectres solaires de ce spath a trois pieds de longueur, tandis que l’autre n’en a que deux ; cette différence d’un tiers est bien considérable en comparaison de celle qui se trouve entre les images produites par les deux réfractions du cristal de roche, dont la longueur des spectres ne diffère que d’un dix-neuvième : on doit donc croire, comme nous l’avons déjà dit, que le cristal de roche est composé de couches ou lames alternatives dont la densité n’est pas fort différente, puisque leur puissance réfractive ne diffère que d’un dix-neuvième, et l’on voit au contraire que le spath d’Islande est composé de couches d’une densité très différente, puisque leur puissance réfractive diffère de près d’un tiers.
Les affections et modifications que la lumière prend et subit en pénétrant les corps transparents sont les plus sûrs indices que nous puissions avoir de la structure intérieure de ces corps, de l’homogénéité plus ou moins grande de leur substance, ainsi que des mélanges dont souvent ils sont composés, et qui, quoique très réels, ne sont nullement apparents, et ne pourraient même se découvrir par aucun autre moyen. Y a-t-il en apparence rien de plus net, de plus uniformément composé, de plus régulièrement continu que le cristal de roche ? Cependant sa double réfraction nous démontre qu’il est composé de deux matières de différente densité, et nous avons déjà dit qu’en examinant son poli, l’on pouvait remarquer que cette matière moins dense est en même temps moins dure que l’autre ; cependant on ne doit pas regarder ces matières différentes comme entièrement hétérogènes ou d’une autre essence, car il ne faut qu’une légère différence dans la densité de ces matières pour produire une double réfraction dans la lumière qui les traverse : par exemple, je conçois que, dans la formation du spath d’Islande, dont les réfractions diffèrent d’un tiers, l’eau qui suinte par stillation, détache d’abord de la pierre calcaire les molé-
rels, et ce sens est celui suivant lequel ses faces sont inclinées l’une à l’autre ; mais dans le sens opposé il n’y a qu’une seule réfraction.