Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/645

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La terre de Lemnos[1], si célèbre chez les anciens peuples du Levant par ses propriétés et vertus médicinales, n’était, comme nous venons de l’indiquer, qu’un bol d’un rouge assez foncé et d’un grain très fin ; et l’on peut croire qu’ils l’épuraient encore et le travaillaient avant d’en faire usage. Le bol qu’on nous envoie sous la dénomination de bol

    Les personnes de condition ne vont jamais au bain sans porter de ces deux espèces de terre, et certainement on les y emploie avec satisfaction. Pour se servir de l’une et de l’autre, il suffit de les faire dissoudre dans l’eau chaude ; mais ceux qui veulent quelque chose de mieux et de plus galant, en font faire une pâte avec des roses pulvérisées, un mélange d’autres parfums et d’eaux de senteur dont on façonne de petites boules comme des savonnettes, et quand elles sont assez desséchées, on les fait dissoudre pour l’usage du bain, qui en devient très agréable : la troisième, qui est la moindre, se tire du territoire de Bagdad même, vers les bords du Tigre, à cause de quoi elle s’appelle, en arabe, tout simplement tin essciat, c’est-à-dire terre de rivière ; son usage est semblable à celui des deux autres. Voyages de Pietro della Valle en Turquie, etc ; Rouen, 1745, t. II, p. 308 et suiv.

  1. L’île de Lemnos, appelée aujourd’hui Stalimène ou Limio, est encore estimée, comme elle l’a été de tout temps parmi les médecins, à cause d’une certaine terre sigillée qu’on en retire.

    On pratiquait anciennement diverses cérémonies pour aller tirer des entrailles de la terre, et pour former cette terre sigillée de Lemnos, sur laquelle on a imprimé diverses marques et figures, suivant les différentes circonstances des siècles où on en a vu paraître dans le monde. Du temps de Dioscoride, qui a vécu longtemps avant Galien, on avait accoutumé de mêler du sang de bouc dans les petits pains qu’on en formait, et d’imprimer dessus la figure d’une chèvre ; mais cette coutume n’était plus en usage du temps de Galien, comme il l’éprouva lui-même lorsqu’il alla à Lemnos pour s’en éclaircir : on avait alors une autre manière de préparer cette terre, et d’en former de petits pains ; car, avant toutes choses, le prêtre montait sur une colline où, après avoir épandu une certaine mesure de blé et d’orge, et pratiqué quelques autres cérémonies suivant la coutume du pays, il chargeait un plein chariot de cette terre qu’il faisait conduire à la ville d’Hephæstia, où on la préparait ensuite d’une manière bien différente de la précédente. Cependant il y a plusieurs siècles que ces cérémonies ne sont plus en usage, et qu’elles ont été entièrement abolies, mais en leur place on en a introduit d’autres qui sont les suivantes.

    Tous les principaux de l’île, tant Turcs qu’ecclésiastiques ou prêtres grecs, qu’on nomme communément des caloyers, s’assemblent précisément le sixième jour du mois d’août, dans la chapelle de Sotira, où étant arrivés, les Grecs, après avoir lu leur liturgie et fait des prières, montent tous ensemble, accompagnés des Turcs, vers la colline susmentionnée (où l’on va par des degrés qu’on a faits pour y monter plus commodément, et qui est située à la portée de deux traits de la chapelle) ; étant parvenus au plus haut, cinquante ou soixante hommes se mettent à creuser jusqu’à ce qu’ils aient découvert la veine de terre qu’ils cherchent, dont les caloyers remplissent quelques sacs faits de poil de bête, et les baillent aux principaux des Turcs établis pour le gouvernement de l’île, comme sont les soubachi ou le waivode qui sont là présents.

    Quand ils ont tiré de cette terre autant qu’ils jugent suffisant pour toute l’année, ils en font recouvrir la veine par les mêmes ouvriers qui la referment avec d’autre terre : cependant le soubachi fait porter à Constantinople, et présenter au Grand-Seigneur, une grande partie de ce qu’on a tiré, et vend le reste à des marchands.

    Suivant le rapport des plus anciens habitants de l’île, cette coutume de choisir un certain jour de l’année pour tirer cette terre de sa veine a été introduite par les Vénitiens, qui commencèrent à la mettre en pratique lorsqu’ils étaient en possession de cette île.

    Quand cette terre est hors de sa veine, on en fait de petits pains ronds du poids d’environ deux drachmes, les uns plus, les autres moins, sur lesquels on voit seulement ces deux mots turcs et arabes, tin imachton, c’est-à-dire terre sigillée : cependant ces lettres et ces caractères ne sont pas semblables dans tous les petits pains de cette terre…

    Autrement la terre sigillée n’est pas toujours d’une même couleur, car il arrive souvent que dans une même veine elle est plus blanche, quelquefois un peu plus rouge, et d’autres