Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 1.djvu/18

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pierres précieuses, dont la plus brillante propriété est de réfracter puissamment la lumière et d’en offrir les couleurs dans toute leur intensité : la double réfraction décolore les objets et diminue par conséquent plus ou moins cette intensité dans les couleurs, et dès lors toutes les matières transparentes qui donnent une double réfraction ne peuvent avoir autant d’éclat que les pierres précieuses dont la substance ainsi que la réfraction sont simples.

Car il faut distinguer, dans la lumière réfractée par les corps transparents, deux effets différents, celui de la réfraction et celui de la dispersion de cette lumière : ces deux effets ne suivent pas la même loi et paraissent même être en raison inverse l’un à l’autre ; car la plus petite réfraction se trouve accompagnée de la plus grande dispersion, tandis que la plus grande réfraction ne donne que la plus petite dispersion. Le jeu des couleurs qui provient de cette dispersion de la lumière est plus varié dans les stras, verres de plomb ou d’antimoine, que dans le diamant ; mais ces couleurs des stras n’ont que très peu d’intensité en comparaison de celles qui sont produites par la réfraction du diamant.

La puissance réfractive est beaucoup plus grande dans le diamant que dans aucun autre corps transparent : avec des prismes dont l’angle est de 20 degrés, la réfraction du verre blanc est d’environ 10 1/2 ; celle du flint-glass de 11 1/4 ; celle du cristal de roche n’est tout au plus que de 10 1/2 ; celle du spath d’Islande d’environ 11 1/2 ; celle du péridot de 11 ; tandis que la réfraction du saphir d’Orient est entre 14 et 15, et que celle du diamant est au moins de 30. M. l’abbé Rochon, qui a fait ces observations, présume que la réfraction du rubis et de la topaze d’Orient est aussi entre 14 et 15, comme celle du saphir ; mais il me semble que ces deux premières pierres ayant plus d’éclat que la dernière, on peut penser qu’elles ont aussi une réfraction plus forte et un peu moins éloignée de celle du diamant : cette grande force de réfraction produit la vivacité, ou pour mieux dire la forte intensité des couleurs dans le spectre du diamant, et c’est précisément parce que ces couleurs conservent toute leur intensité que leur dispersion est moindre. Le fait confirme ici la théorie, car il est aisé de s’assurer que la dispersion de la lumière est bien plus petite dans le diamant que dans aucune autre matière transparente.

Le diamant, les pierres précieuses et toutes les substances inflammables ont plus de puissance réfractive que les autres corps transparents, parce qu’elles ont plus d’affinité avec la lumière, et par la même raison il y a moins de dispersion dans leur réfraction, puisque leur plus grande affinité avec la lumière doit en réunir les rayons de plus près. Le verre d’antimoine peut ici nous servir d’exemple : sa réfraction n’est que d’environ 11 1/2, tandis que sa dispersion est encore plus grande que celle du stras ou d’aucune autre matière connue, en sorte qu’on pourrait égaler et peut-être surpasser le diamant, pour le jeu des couleurs, avec le verre d’antimoine ; mais ces couleurs ne seraient que des bluettes encore plus faibles que celles du stras ou verre de plomb, et d’ailleurs ce verre d’antimoine est trop tendre pour pouvoir conserver longtemps son poli.

Cette homogénéité dans la substance du diamant et des pierres précieuses, qui nous est démontrée par leur réfraction toujours simple, cette grande densité que nous leur connaissons par la comparaison de leurs poids spécifiques, enfin leur très grande dureté, qui nous est également démontrée par leur résistance au frottement de la lime, sont des propriétés essentielles qui nous présentent des caractères tirés de la nature, et qui sont bien plus certains que tous ceux par lesquels on a voulu désigner et distinguer ces pierres : ils nous indiquent leur essence et nous démontrent en même temps qu’elles ne peuvent provenir des matières vitreuses, calcaires ou métalliques, et qu’il ne reste que la terre végétale ou limoneuse dont le diamant et les vraies pierres précieuses aient pu tirer leur origine. Cette présomption très bien fondée acquerra le titre de vérité lorsqu’on réfléchira sur deux faits généraux, également certains : le premier, que ces pierres ne se trouvent que dans les climats les plus chauds, et que cet excès de chaleur est par conséquent nécessaire à leur formation ; le second, qu’on ne les rencontre qu’à la surface ou dans la première couche de