Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/169

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autres, et par conséquent aucune idée générale ne peut être exacte ni précise ; l’idée générale que nous nous sommes formée de l’animal sera, si vous voulez, prise principalement de l’idée particulière du chien, du cheval et d’autres bêtes qui nous paraissent avoir de l’intelligence, de la volonté, qui semblent se déterminer et se mouvoir suivant cette volonté, et qui de plus sont composées de chair et de sang, qui cherchent et prennent leur nourriture, qui ont des sens, des sexes et la faculté de se reproduire. Nous joignons donc ensemble une grande quantité d’idées particulières, lorsque nous nous formons l’idée générale que nous exprimons par le mot animal, et l’on doit observer que dans le grand nombre de ces idées particulières, il n’y en a pas une qui constitue l’essence de l’idée générale ; car il y a, de l’aveu de tout le monde, des animaux qui paraissent n’avoir aucune intelligence, aucune volonté, aucun mouvement progressif ; il y en a qui n’ont ni chair ni sang, et qui ne paraissent qu’une glaire congelée ; il y en a qui ne peuvent chercher leur nourriture et qui ne la reçoivent que de l’élément qu’ils habitent ; enfin il y en a qui n’ont point de sens, pas même celui du toucher, au moins à un degré qui nous soit sensible ; il y en a qui n’ont point de sexes, ou qui les ont tous deux, et il ne reste de général à l’animal que ce qui lui est commun avec le végétal, c’est-à-dire la faculté de se reproduire. C’est donc du tout ensemble qu’est composée l’idée générale, et ce tout étant composé de parties différentes, il y a nécessairement entre ces parties des degrés et des nuances ; un insecte, dans ce sens, est quelque chose de moins animal qu’un chien ; une huître est encore moins animal qu’un insecte ; une ortie de mer ou un polype d’eau douce, l’est encore moins qu’une huître ; et comme la nature va par nuances insensibles, nous devons trouver des êtres qui sont encore moins animaux qu’une ortie de mer ou un polype. Nos idées générales ne sont que des méthodes artificielles que nous nous sommes formées pour rassembler une grande quantité d’objets dans le même point de vue, et elles ont, comme les méthodes artificielles dont nous avons parlé (Discours I), le défaut de ne pouvoir jamais tout comprendre ; elles sont de même opposées à la marche de la nature, qui se fait uniformément, insensiblement et toujours particulièrement[NdÉ 1] : en sorte que c’est pour vouloir comprendre un trop grand nombre d’idées particulières dans un seul mot, que nous n’avons plus une idée claire de ce que ce mot signifie, parce que ce mot étant reçu, on s’imagine que ce mot est une ligne qu’on peut tirer entre les productions de la nature, que tout ce qui est au-dessus de cette ligne est en effet animal, et que tout ce qui est au-dessous ne peut-être que végétal, autre mot aussi général que le

  1. Buffon persiste dans cette idée exprimée dans son premier discours qu’il n’existe que des individus, et que des transitions insensibles les rattachent les uns aux autres. C’est ce qu’il exprime si bien en disant que « la marche de la nature se fait uniformément, insensiblement et toujours particulièrement ».