Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/17

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vue, en est moins le sujet que l’accessoire : c’est une enveloppe étrangère dont l’union nous est inconnue et la présence nuisible[NdÉ 1], et cet ordre de pensées, qui constitue notre être, en est peut-être tout à fait indépendant.

Nous existons donc sans savoir comment, et nous pensons sans savoir pourquoi ; mais, quoi qu’il en soit de notre manière d’être ou de sentir, quoi qu’il en soit de la vérité ou de la fausseté, de l’apparence ou de la réalité de nos sensations, les résultats de ces mêmes sensations n’en sont pas moins certains par rapport à nous. Cet ordre d’idées, cette suite de pensées qui existe au dedans de nous-mêmes, quoique fort différente des objets qui les causent, ne laisse pas que d’être l’affection la plus réelle de notre individu, et de nous donner des relations avec les objets extérieurs, que nous pouvons regarder comme des rapports réels, puisqu’ils sont invariables et toujours les mêmes relativement à nous : ainsi nous ne devons pas douter que les différences ou les ressemblances que nous apercevons entre les objets ne soient des différences et des ressemblances certaines et réelles dans l’ordre de notre existence par rapport à ces mêmes objets. Nous pouvons donc légitimement nous donner le premier rang dans la nature ; nous devons ensuite donner la seconde place aux animaux, la troisième aux végétaux, et enfin la dernière aux minéraux ; car, quoique nous ne distinguions pas bien nettement les qualités que nous avons en vertu de notre animalité de celles que nous avons en vertu de la spiritualité de notre âme[NdÉ 2], nous ne pouvons guère douter que les animaux étant doués, comme nous, des mêmes sens, possédant les mêmes principes de vie et de mouvement, et faisant une infinité d’actions semblables aux nôtres, ils n’aient avec les objets extérieurs des rapports du même ordre que les nôtres et que, par conséquent, nous ne leur ressemblions réellement à bien des égards. Nous différons beaucoup des végétaux ; cependant nous leur ressemblons plus qu’ils ne ressemblent aux minéraux, et cela parce qu’ils ont une espèce de forme vivante, une organisation animée, semblable en quelque façon à la nôtre, au lieu que les minéraux n’ont aucun organe.

Pour faire donc l’histoire de l’animal, il faut d’abord reconnaître avec exactitude l’ordre général des rapports qui lui sont propres, et distinguer ensuite les rapports qui lui sont communs avec les végétaux et les minéraux. L’animal n’a de commun avec le minéral que les qualités de la matière prise généralement ; sa substance a les mêmes propriétés virtuelles, elle

  1. Toute la fin de cet alinéa est fort obscure. On sent que Buffon s’est lancé dans une métaphysique dont il ne peut plus se dégager. Que signifie, par exemple, un « ordre de pensées qui constitue notre être ? »
  2. Le lecteur comprendra sans nul doute l’importance de cette phrase : « Quoique nous ne distinguions pas bien nettement les qualités que nous avons en vertu de notre animalité de celles que nous avons en vertu de la spiritualité de notre âme. » Buffon laisse voir qu’il n’ignore pas que, si la distinction est difficile à faire, c’est parce que toutes nos qualités peuvent être expliquées par notre seule « animalité ».