Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/279

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Quelle est l’origine de ceux qui, attaches sur les bords des fentes de la pierre qui couvrait le caveau, ne tenaient à la vie qu’en humant l’air que le cadavre exhalait ? D’où viennent enfin leur analogie et leur similitude avec les moucherons qui naissent dans le marc du vin ? Il semble que plus on s’efforce de rassembler les lumières et les découvertes d’un plus grand nombre d’auteurs pour répandre un certain jour sur toutes ces questions, plus leurs jugements partagés et combattus les replongent dans l’obscurité où la nature les tient cachées.

» Les anciens ont reconnu qu’il naît constamment et régulièrement une foule d’insectes ailés de la poussière humide des cavernes souterraines[1]. Ces observations et l’exemple que je rapporte établissent évidemment que telle est la structure de ces animalcules que l’air n’est point nécessaire à leur vie ni à leur génération, et on a lieu de présumer qu’elle n’est accélérée, et que la multitude de ceux qui étaient renfermés dans le cercueil n’a été si grande que parce que les substances animales qui sont concentrées profondément dans le sein de la terre, soustraites à l’action de l’air, ne souffrent presque point de déperdition, et que les opérations de la nature n’y sont troublées par aucun dérangement étranger.

» D’ailleurs, nous connaissons des animaux qui ne sont point nécessités de respirer notre air : il y en a qui vivent dans la machine pneumatique. Enfin, Théophraste et Aristote ont cru que certaines plantes et quelques animaux s’engendrent d’eux-mêmes, sans germe, sans semence, sans la médiation d’aucun agent extérieur ; car on ne peut pas dire, selon la supposition de Gassendi et de Lyster, que les insectes du cadavre de notre hydropique aient été fournis par les animalcules qui circulent dans l’air, ni par les œufs qui peuvent se trouver dans les aliments, ou par des germes préexistants qui se sont introduits dans son corps pendant la vie, et qui ont éclos et se sont multipliés après sa mort.

» Sans nous arrêter, pour rendre raison de ce phénomène, à tant de systèmes incomplets de ces philosophes, étayons nos idées des réflexions physiques d’un savant naturaliste qui a porté dans ce siècle le flambeau de la science dans le chaos de la nature. Les éléments de notre corps sont composés de particules similaires et organiques qui sont tout à la fois nutritives et productives : elles ont une existence hors de nous, une vertu intrinsèque inaltérable. En changeant de position, de combinaison et de forme, leur tissu ni leur masse ne dépérissent point ; leurs propriétés originelles ne peuvent s’altérer : ce sont de petits ressorts doués d’une force active en qui résident les principes du mouvement et de la vitalité, qui ont des rapports infinis avec toutes les choses créées, qui sont susceptibles d’autant de changements et de résultats divers qu’ils peuvent être mis en jeu

  1. Plin., Hist. nat., lib. xii.