Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/300

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raient être comparées aux fonctions d’un animal qui serait par sa nature contraint à dormir perpétuellement.

Dans l’animal, l’état de sommeil n’est donc pas un état accidentel, occasionné par le plus ou moins grand exercice de ses fonctions pendant la veille ; cet état est au contraire une manière d’être essentielle, et qui sert de base à l’économie animale. C’est par le sommeil que commence notre existence ; le fœtus dort presque continuellement, et l’enfant dort beaucoup plus qu’il ne veille.

Le sommeil, qui paraît être un état purement passif, une espèce de mort, est donc au contraire le premier état de l’animal vivant et le fondement de la vie ; ce n’est point une privation, un anéantissement, c’est une manière d’être, une façon d’exister tout aussi réelle et plus générale qu’aucune autre ; nous existons de cette façon avant d’exister autrement : tous les êtres organisés qui n’ont point de sens n’existent que de cette façon, aucun n’existe dans un état de mouvement continuel, et l’existence de tous participe plus ou moins à cet état de repos.

Si nous réduisons l’animal même le plus parfait à cette partie qui agit seule et continuellement, il ne nous paraîtra pas différent de ces êtres auxquels nous avons peine à accorder le nom d’animal ; il nous paraîtra, quant aux fonctions extérieures, presque semblable au végétal ; car quoique l’organisation intérieure soit différente dans l’animal et dans le végétal, l’un et l’autre ne nous offriront plus que les mêmes résultats : ils se nourriront, ils croîtront, ils se développeront, ils auront les principes d’un mouvement interne, ils posséderont une vie végétale ; mais ils seront également privés de mouvement progressif, d’action, de sentiment, et ils n’auront aucun signe extérieur aucun caractère apparent de vie animale. Mais revêtons cette partie intérieure d’une enveloppe convenable, c’est-à-dire, donnons-lui des sens et des membres, bientôt la vie animale se manifestera ; et plus l’enveloppe contiendra de sens, de membres et d’autres parties extérieures, plus la vie animale nous paraîtra complète, et plus l’animal sera parfait[NdÉ 1]. C’est donc par cette enveloppe que les animaux diffèrent entre eux : la partie intérieure qui fait le fondement de l’économie animale appartient à tous les animaux sans aucune exception, et elle est à peu près la même, pour la forme, dans l’homme et dans les animaux qui ont de la chair et du sang ; mais l’enveloppe extérieure est très différente, et c’est aux extrémités de cette enveloppe que sont les plus grandes différences.

  1. Pour que cette proposition soit tout à fait exacte il suffit de corriger l’erreur dans laquelle tombe Buffon quand il assure qu’il existe des organismes totalement dépourvus de sens et de mouvement progressif. La vérité est que tous les organismes sont susceptibles de percevoir les impressions des objets extérieurs, et que la substance fondamentale de tous est douée de mouvement ; mais, comme le dit fort bien Buffon, tous ne possèdent pas des appareils de réception des impressions, c’est-à-dire des sens également parfaits, et leur perfection plus ou moins grande résulte du plus ou moins de développement et de complexité de leurs divers appareils.