Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’appliquent les forces ou les puissances extérieures[NdÉ 1] ; le cerveau est l’hypomochlion ou la masse d’appui, et les nerfs sont les parties que l’action des puissances met en mouvement. Mais ce qui rend cette machine si différente des autres machines, c’est que l’hypomochlion est non seulement capable de résistance et de réaction, mais qu’il est lui-même actif, parce qu’il conserve longtemps l’ébranlement qu’il a reçu[NdÉ 2] ; et comme cet organe intérieur, le cerveau et les membranes qui l’environnent, est d’une très grande capacité et d’une très grande sensibilité, il peut recevoir un très grand nombre d’ébranlements successifs et contemporains, et les conserver dans l’ordre où il les a reçus, parce que chaque impression n’ébranle qu’une partie du cerveau, et que les impressions successives ébranlent différemment la même partie, et peuvent ébranler aussi des parties voisines et contiguës.

Si nous supposions un animal qui n’eût point de cerveau, mais qui eût un sens extérieur fort sensible et fort étendu, un œil, par exemple, dont la rétine eût une aussi grande étendue que celle du cerveau, et eût en même temps cette propriété du cerveau de conserver longtemps les impressions qu’elle aurait reçues, il est certain qu’avec un tel sens l’animal verrait en même temps non seulement les objets qui le frapperait actuellement, mais encore tous ceux qui l’auraient frappé auparavant, parce que dans cette supposition les ébranlements subsistant toujours, et la capacité de la rétine étant assez grande pour les recevoir dans des parties différentes, il apercevrait également et en même temps les premières et les dernières images ; et voyant ainsi le passé et le présent du même coup d’œil, il serait déterminé mécaniquement à faire telle ou telle action en conséquence du degré de force et du nombre plus ou moins grand des ébranlements produits par les images relatives ou contraires à cette détermination. Si le nombre des images propres à faire naître l’appétit surpasse celui des images propres à faire naître la répugnance, l’animal sera nécessairement déterminé à faire un mouvement pour satisfaire cet appétit ; et si le nombre ou la force des images d’appétit sont égaux au nombre ou à la force des images de répugnance, l’animal ne sera pas déterminé, il demeurera en équilibre entre ces deux puissances égales, et il ne fera aucun mouvement ni pour atteindre, ni pour éviter. Je dis que ceci se fera mécaniquement et sans que la mémoire y ait aucune part ; car l’animal voyant en même temps toutes les images, elles agissent par conséquent toutes en même temps : celles qui sont relatives à l’appétit

  1. Cette observation est très juste.
  2. C’est dans cette propriété très remarquable, mais nullement réservée au cerveau, que Buffon trouve l’explication des phénomènes que nous réunissons sous la dénomination générale de « mémoire ». Cette opinion est très remarquable ; j’ajoute qu’elle est à la fois la plus simple et la plus plausible de toutes celles qui ont été émises relativement à la mémoire. Elle a pour elle l’avantage précieux de faire rentrer cette remarquable faculté dans le cadre des propriétés communes à toutes les formes de la matière. (Voyez mon Introduction.)