Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/315

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nerfs, l’animal fait des mouvements et ouvre la bouche pour se procurer cette nourriture dont il a besoin. Le sens de l’appétit étant bien plus obtus dans l’homme que dans l’animal, l’enfant nouveau-né ne sent que le besoin de prendre de la nourriture ; il l’annonce par des cris ; mais il ne peut se la procurer seul, il n’est point averti par l’odorat, rien ne peut déterminer ses mouvements pour trouver cette nourriture ; il faut l’approcher de la mamelle et la lui faire sentir et toucher avec la bouche ; alors ces sens ébranlés communiqueront leur ébranlement à son cerveau, et le cerveau agissant sur les nerfs, l’enfant fera les mouvements nécessaires pour recevoir et sucer cette nourriture. Ce ne peut être que par l’odorat et par le goût, c’est-à-dire par les sens de l’appétit, que l’animal est averti de la présence de la nourriture et du lieu où il faut la chercher : ses yeux ne sont point encore ouverts, et, le fussent-ils, ils seraient, dans ces premiers instants, inutiles à la détermination du mouvement. L’œil, qui est un sens plus relatif à la connaissance qu’à l’appétit, est ouvert dans l’homme au moment de sa naissance, et demeure dans la plupart des animaux fermé pour plusieurs jours. Les sens de l’appétit, au contraire, sont bien plus parfaits et bien plus développés dans l’animal que dans l’enfant : autre preuve que dans l’homme les organes de l’appétit sont moins parfaits que ceux de la connaissance, et que dans l’animal ceux de la connaissance le sont moins que ceux de l’appétit.

Les sens relatifs à l’appétit sont donc plus développés dans l’animal qui vient de naître que dans l’enfant nouveau-né. Il en est de même du mouvement progressif et de tous les autres mouvements extérieurs : l’enfant peut à peine mouvoir ses membres, il se passera beaucoup de temps avant qu’il ait la force de changer de lieu ; le jeune animal, au contraire, acquiert en très peu de temps toutes ces facultés : comme elles ne sont dans l’animal que relatives à l’appétit, que cet appétit est véhément et promptement développé, et qu’il est le principe unique de la détermination de tous les mouvements ; que dans l’homme, au contraire, l’appétit est faible, ne se développe que plus tard, et ne doit pas influer autant que la connaissance sur la détermination des mouvements, l’homme est à cet égard plus tardif que l’animal.

Tout concourt donc à prouver, même dans le physique, que l’animal n’est remué que par l’appétit, et que l’homme est conduit par un principe supérieur : s’il y a toujours eu du doute sur ce sujet, c’est que nous ne concevons pas bien comment l’appétit seul peut produire dans l’animal des effets si semblables à ceux que produit chez nous la connaissance ; et que d’ailleurs nous ne distinguons pas aisément ce que nous faisons en vertu de la connaissance, de ce que nous ne faisons que par la force de l’appétit. Cependant il me semble qu’il n’est pas impossible de faire disparaître cette incertitude, et même d’arriver à la conviction, en employant le principe que nous avons établi. Le sens intérieur matériel, avons-nous dit, conserve longtemps les