Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/35

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contre la supposition, qui est que la qualité est générale, qu’elle appartient à tout.

Si l’on demande au contraire la raison d’un effet particulier, on la trouvera toujours dès qu’on pourra faire voir clairement que cet effet particulier dépend immédiatement des causes premières dont nous venons de parler, et la question sera résolue toutes les fois que nous pourrons répondre que l’effet dont il s’agit tient à un effet plus général, et, soit qu’il y tienne immédiatement ou qu’il y tienne par un enchaînement d’autres effets, la question sera également résolue, pourvu qu’on voie clairement la dépendance de ces effets les uns des autres, et les rapports qu’ils ont entre eux.

Mais, si l’effet particulier dont on demande la raison ne nous paraît pas dépendre de ces effets généraux, si non seulement il n’en dépend pas, mais même s’il ne paraît avoir aucune analogie avec les autres effets particuliers, dès lors cet effet étant seul de son espèce, et n’ayant rien de commun avec les autres effets, rien au moins qui nous soit connu, la question est insoluble, parce que, pour donner la raison d’une chose, il faut avoir un sujet duquel on la puisse tirer, et que, n’y ayant ici aucun sujet connu qui ait quelque rapport avec celui que nous voulons expliquer, il n’y a rien dont on puisse tirer cette raison que nous cherchons : ceci est le contraire de ce qui arrive lorsqu’on demande la raison d’une cause générale ; on ne la trouve pas, parce que tout a les mêmes qualités, et au contraire on ne trouve pas la raison de l’effet isolé dont nous parlons, parce que rien de connu n’a les mêmes qualités ; mais la différence qu’il y a entre l’un et l’autre, c’est qu’il est démontré, comme on l’a vu, qu’on ne peut pas trouver la raison d’un effet général, sans quoi il ne serait pas général, au lieu qu’on peut espérer de trouver un jour la raison d’un effet isolé, par la découverte de quelque autre effet relatif au premier, que nous ignorons et qu’on pourra trouver ou par hasard, ou par des expériences.

Il y a encore une autre espèce de question qu’on pourrait appeler question de fait : par exemple, pourquoi y a-t-il des arbres ? pourquoi y a-t-il des chiens ? pourquoi y a-t-il des puces, etc. ? Toutes ces questions de fait sont insolubles, car ceux qui croient y répondre par des causes finales ne font pas attention qu’ils prennent l’effet pour la cause ; le rapport que ces choses ont avec nous n’influant point du tout sur leur origine, la convenance morale ne peut jamais devenir une raison physique.

Aussi faut-il distinguer avec soin les questions où l’on emploie le pourquoi de celles où l’on doit employer le comment, et encore de celles où l’on ne doit employer que le combien. Le pourquoi est toujours relatif à la cause de l’effet ou au fait même, le comment est relatif à la façon dont arrive l’effet, et le combien n’a de rapport qu’à la mesure de cet effet[NdÉ 1].

  1. Les considérations auxquelles se livre Buffon dans les deux pages ci-dessus, relativement à la nature des questions que la science est appelée à résoudre, sont des plus