Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réduites à des tas inutiles, disproportionnés et ramassés sans vues ; voilà les petites lois particulières de leur prévoyance supposée ramenées à la loi réelle et générale du sentiment ; il en sera de même de la prévoyance des oiseaux. Il n’est pas nécessaire de leur accorder la connaissance de l’avenir, ou de recourir à la supposition d’une loi particulière que le Créateur aurait établie en leur faveur, pour rendre raison de la construction de leurs nids ; ils sont conduits par degrés à les faire, ils trouvent d’abord un lieu qui convient, ils s’y arrangent, ils y portent ce qui le rendra plus commode ; ce nid n’est qu’un lieu qu’ils reconnaîtront, qu’ils habiteront sans inconvénient et où ils séjourneront tranquillement : l’amour est le sentiment qui les guide et les excite à cet ouvrage, ils ont besoin mutuellement l’un de l’autre, ils se trouvent bien ensemble, ils cherchent à se cacher, à se dérober au reste de l’univers, devenu pour eux plus incommode et plus dangereux que jamais ; ils s’arrêtent donc dans les endroits les plus touffus des arbres, dans les lieux les plus inaccessibles ou les plus obscurs ; et pour s’y soutenir, pour y demeurer d’une manière moins incommode, ils entassent des feuilles, ils arrangent de petits matériaux, et travaillent à l’envi à leur habitation commune : les uns, moins adroits ou moins sensuels, ne font que des ouvrages grossièrement ébauchés, d’autres se contentent de ce qu’ils trouvent tout fait, et n’ont pas d’autre domicile que les trous qui se présentent ou les pots qu’on leur offre. Toutes ces manœuvres sont relatives à leur organisation et dépendantes du sentiment qui ne peut, à quelque degré qu’il soit, produire le raisonnement, et encore moins donner cette prévision intuitive, cette connaissance certaine de l’avenir, qu’on leur suppose[NdÉ 1].

On peut le prouver par des exemples familiers : non seulement ces animaux ne savent pas ce qui doit arriver, mais ils ignorent même ce qui est arrivé. Une poule ne distingue pas ses œufs de ceux d’un autre oiseau, elle ne voit point que les petits canards qu’elle vient de faire éclore ne lui appartiennent point, elle couve des œufs de craie, dont il ne doit rien résulter, avec autant d’attention que ses propres œufs ; elle ne connaît donc ni le passé, ni l’avenir, et se trompe encore sur le présent. Pourquoi les oiseaux de basse-cour ne font-ils pas des nids comme les autres ? serait-ce parce que le mâle appartient à plusieurs femelles, ou plutôt n’est-ce pas qu’étant domestiques, familiers et accoutumés à être à l’abri des inconvénients et des dangers, ils n’ont aucun besoin de se soustraire aux yeux, aucune habitude de chercher leur sûreté dans la retraite et dans la solitude ? Cela même pourrait encore se prouver par le fait, car, dans la même espèce, l’oiseau sauvage fait souvent ce que l’oiseau domestique ne fait point ; la gelinotte

  1. Ne sont-ce pas exactement les mêmes motifs qui poussent l’homme à se bâtir une demeure, d’abord grossière, puis de plus en plus commode et dans laquelle il finit par entasser les produits luxueux d’une industrie dont l’unique préoccupation est de faire naître et d’exciter les désirs qu’elle se donne pour mission de satisfaire.