Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/375

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mulet et de la femelle bardot, et celui du bardot et de la mule, pourraient bien manquer absolument ; que celui du mulet et de la mule, et celui du bardot et de la femelle, pourraient peut-être réussir, quoique bien rarement ; mais, en même temps, je présume que le mulet produirait avec la jument plus certainement qu’avec l’ânesse et le bardot, plus certainement avec l’ânesse qu’avec la jument ; qu’enfin le cheval et l’âne pourraient peut-être produire avec les deux mules, mais l’âne plus sûrement que le cheval : il faudrait faire ces épreuves dans un pays aussi chaud, pour le moins, que l’est notre Provence, et prendre des mulets de sept ans, des chevaux de cinq et des ânes de quatre ans, parce qu’il y a cette différence dans ces trois animaux pour les âges de la pleine puberté.

Voici les raisons d’analogie sur lesquelles sont fondées les présomptions que je viens d’indiquer. Dans l’ordonnance commune de la nature, ce ne sont pas les mâles, mais les femelles, qui constituent l’unité des espèces ; nous savons par l’exemple de la brebis, qui peut servir à deux mâles différents et produire également du bouc et du bélier, que la femelle influe beaucoup plus que le mâle sur le spécifique du produit, puisque de ces deux mâles différents il ne naît que des agneaux, c’est-à-dire des individus spécifiquement ressemblants à la mère ; aussi le mulet ressemble-t-il plus à la jument qu’à l’âne, et le bardot plus à l’ânesse qu’au cheval : dès lors le mulet doit produire plus sûrement avec la jument qu’avec l’ânesse, et le bardot plus sûrement avec l’ânesse qu’avec la jument : de même le cheval et l’âne pourraient peut-être produire avec les deux mules, parce qu’étant femelles elles ont, quoique viciées, retenu chacune plus de propriétés spécifiques que les mulets mâles ; mais l’âne doit produire avec elles plus certainement que le cheval, parce qu’on a remarqué que l’âne a plus de puissance pour engendrer, même avec la jument, que n’en a le cheval, car il corrompt et détruit la génération de celui-ci : on peut s’en assurer en donnant d’abord le cheval étalon à des juments, et en leur donnant le lendemain, ou même quelques jours après, l’âne au lieu du cheval ; ces juments produiront presque toujours des mulets, et non pas des chevaux. Cette observation, qui mériterait bien d’être constatée dans toutes ses circonstances, paraît indiquer que la souche ou tige principale de cette famille pourrait bien être l’âne et non pas le cheval, puisque l’âne le domine dans la puissance d’engendrer, même avec sa femelle ; d’autant que le contraire n’arrive pas, lorsqu’on donne l’âne en premier et le cheval en second à la jument ; celui-ci ne corrompt pas la génération de l’âne, car le produit est presque toujours un mulet ; d’autre côté, la même chose n’arrive pas quand on donne l’âne en premier et le cheval en second à l’ânesse, car celui-ci ne corrompt ni ne détruit la génération de l’âne. Et à l’égard des accouplements des mulets entre eux, je les ai présumés stériles, parce que de deux natures déjà lésées pour la génération, et qui par leur mélange ne pourraient