Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/405

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devient d’autant plus grand que les espèces sont moins voisines ; il doit en être de même des races différentes : on aura en les croisant, c’est-à-dire en prenant celles qui sont les plus éloignées, on aura, dis-je, non seulement de plus belles productions, mais des mâles en plus grand nombre ; j’ai souvent tâché de deviner pourquoi dans aucune religion, dans aucun gouvernement, le mariage du frère et de la sœur n’a jamais été autorisé. Les hommes auraient-ils reconnu, par une très ancienne expérience, que cette union du frère et de la sœur était moins féconde que les autres, ou produisait-elle moins de mâles et des enfants plus faibles et plus mal faits ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’inverse du fait est vrai, car on sait, par des expériences mille fois répétées, qu’en croisant les races au lieu de les réunir, soit dans les animaux, soit dans l’homme, on ennoblit l’espèce, et que ce moyen seul peut la maintenir belle et même la perfectionner.

Joignons maintenant ces faits, ces résultats d’expériences et ces indications à d’autres faits constatés, en commençant par ceux que nous ont transmis les anciens. Aristote dit positivement que le mulet engendre avec la jument un animal appelé par les Grecs hinnus ou ginnus. Il dit de même que la mule peut concevoir aisément, mais qu’elle ne peut que rarement perfectionner son fruit[1]. De ces deux faits, qui sont vrais, le second est en effet plus rare que le premier, et tous deux n’arrivent que dans des climats chauds. M. de Bory, de l’Académie royale des sciences, et ci-devant gouverneur des îles de l’Amérique, a eu la bonté de me communiquer un fait récent sur ce sujet, par sa lettre du 7 mai 1770, dont voici l’extrait :

« Vous vous rappelez peut-être, Monsieur, que M. d’Alembert lut à l’Académie des sciences, l’année dernière 1769, une lettre dans laquelle on lui mandait qu’une mule avait mis bas un muleton dans une habitation de l’île Saint-Domingue ; je fut chargé d’écrire pour vérifier le fait, et j’ai l’honneur de vous envoyer le certificat que j’en ai reçu… Celui qui m’écrit est une personne digne de foi. Il dit avoir vu des mulets couvrir indistinctement des mules et des cavales, comme aussi des mules couvertes par des mulets et des étalons. »

Ce certificat est un acte juridique de notoriété, signé de plusieurs témoins et dûment contrôlé et légalisé. Il porte en substance que, le 14 mai 1769, M. de Nort, chevalier de Saint-Louis et ancien major de la Légion royale de Saint-Domingue, étant sur son habitation de la Petite-Anse, on lui amena une mule qu’on lui dit être malade : elle avait le ventre très gros, et il lui sortait un boyau par la vulve. M. de Nort, la croyant enflée, envoya chercher une espèce de maréchal nègre, qui avait coutume de panser les animaux malades ; que ce nègre, étant arrivé en son absence, il avait jeté bas la mule pour lui faire prendre un breuvage ; que l’instant d’après la chute il la déli-

  1. Arist., Hist. anim., lib. vi, cap. xxiv.