Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/459

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multiplie, et sa chair est également bonne à manger. L’espèce de la chèvre, au contraire, ne s’est multipliée que dans les pays chauds ou tempérés, et n’a pu se maintenir en Canada ; il faut faire venir de temps en temps d’Europe des boucs et des chèvres pour renouveler l’espèce, qui, par cette raison, y est très peu nombreuse. L’âne, qui multiplie au Brésil, au Pérou, etc., n’a pu multiplier en Canada ; l’on n’y voit ni mulets ni ânes, quoiqu’en différents temps l’on y ait transporté plusieurs couples de ces derniers animaux auxquels le froid semble ôter cette force de tempérament, cette ardeur naturelle qui, dans ces climats, les distinguent si fort des autres animaux. Les chevaux ont à peu près également multiplié dans les pays chauds et dans les pays froids du continent de l’Amérique ; il paraît seulement[1] qu’ils sont devenus plus petits ; mais cela leur est commun avec tous les autres animaux qui ont été transportés d’Europe en Amérique : car les bœufs, les chèvres, les moutons, les cochons, les chiens, sont plus petits en Canada qu’en France ; et, ce qui paraîtra peut-être beaucoup plus singulier, c’est que tous les animaux d’Amérique, même ceux qui sont naturels au climat, sont beaucoup plus petits en général que ceux de l’ancien continent. La nature semble s’être servie dans ce nouveau monde d’une autre échelle de grandeur ; l’homme est le seul qu’elle ait mesuré avec le même module : mais avant de donner les faits sur lesquels je fonde cette observation générale, il faut achever notre énumération.

Le cochon ne s’est donc point trouvé dans le nouveau monde, il y a été transporté ; et non seulement il y a multiplié dans l’état de domesticité, mais il est même devenu sauvage[2] en plusieurs endroits, et il y vit et multiplie dans les bois comme nos sangliers, sans le secours de l’homme. On a aussi transporté de la Guinée au Brésil[3] une autre espèce de cochon différente de celle d’Europe, qui s’y est multipliée. Ce cochon de Guinée, plus petit que celui d’Europe, a les oreilles fort longues et très pointues, la queue aussi fort longue et traînant presque à terre ; il n’est pas couvert de soies longues, mais d’un poil court, et il paraît faire une espèce distincte et séparée de celle du cochon d’Europe : car nous n’avons pas appris qu’au Brésil, où l’ardeur du climat favorise la propagation en tout genre, ces deux espèces se soient mêlées, ni qu’elles aient même produit des mulets, ou des individus féconds.

Les chiens, dont les races sont si variées et si nombreusement répandues, ne se sont, pour ainsi dire, trouvés en Amérique que par échantillons difficiles à comparer et à rapporter au total de l’espèce. Il y avait à Saint-

  1. Voyez l’Histoire de la Jamaïque, par Hans-Sloane. Londres, 1707 et 1725.
  2. Les cochons d’Europe ont beaucoup multiplié dans toutes les Indes occidentales ; ils y sont devenus sauvages, et on les chasse comme le sanglier, dont ils ont pris le naturel et la férocité. Histoire naturelle des Indes, par Joseph Acosta. Paris, 1600, p. 44 et suiv.
  3. Vide Pison, Hist. nat. Brasil. cum app. Marcgravii.