Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/70

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c’est le cœur qui existe le premier, Harvey a depuis prétendu, par des raisons de la même espèce que celles que nous venons de donner d’après Aristote, que ce n’était pas le cœur, mais le sang qui le premier se réalisait.

Voilà quel est le système que ce grand philosophe nous a donné sur la génération. Je laisse à imaginer si celui des anciens qu’il rejette, et contre lequel il s’élève à tout moment, pouvait être plus obscur, ou même, si l’on veut, plus absurde que celui-ci. Cependant ce même système que je viens d’exposer fidèlement a été suivi par la plus grande partie des savants, et on verra tout à l’heure qu’Harvey non seulement avait adopté les idées d’Aristote, mais même qu’il y en a encore ajouté de nouvelles, et dans le même genre, lorsqu’il a voulu expliquer le mystère de la génération : comme ce système fait corps avec le reste de la philosophie d’Aristote, où la forme et la matière sont les grands principes, où les âmes végétatives et sensitives sont les êtres actifs de la nature, où les causes finales sont des objets réels, je ne suis point étonné qu’il ait été reçu par tous les auteurs scolastiques ; mais il est surprenant qu’un médecin et un bon observateur, tel qu’était Harvey, ait suivi le torrent, tandis que dans le même temps tous les médecins suivaient le sentiment d’Hippocrate et de Galien, que nous exposerons dans la suite.

Au reste, il ne faut pas prendre une idée désavantageuse d’Aristote par l’exposition que nous venons de faire de son système sur la génération ; c’est comme si l’on voulait juger Descartes par son Traité de l’homme ; les explications que ces deux philosophes donnent de la formation du fœtus ne sont pas des théories ou des systèmes au sujet de la génération seule, ce ne sont pas des recherches particulières qu’ils ont faites sur cet objet, ce sont plutôt des conséquences qu’ils ont voulu tirer chacun de leurs principes philosophiques. Aristote admettait, comme Platon, les causes finales et efficientes ; ces causes efficientes sont les âmes sensitives et végétatives, lesquelles donnent la forme à la matière qui d’elle-même n’est qu’une capacité de recevoir les formes, et comme dans la génération la femelle donne la matière la plus abondante, qui est celle des menstrues, et que d’ailleurs il répugnait à son système des causes finales que ce qui peut se faire par un seul soit opéré par plusieurs, il a voulu que la femelle contînt seule la matière nécessaire à la génération ; et ensuite, comme un autre de ces principes était que la matière d’elle-même est informe, et que la forme est un être distinct et séparé de la matière, il a dit que le mâle fournissait la forme, et que par conséquent il ne fournissait rien de matériel.

Descartes au contraire, qui n’admettait en philosophie qu’un petit nombre de principes mécaniques, a cherché à expliquer la formation du fœtus par ces mêmes principes, et il a cru pouvoir comprendre et faire entendre aux autres comment, par les seules lois du mouvement, il pouvait se faire un être vivant et organisé : il différait, comme l’on voit, d’Aristote dans les principes qu’il employait, mais tous deux, au lieu de chercher à expliquer la chose en