Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/336

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corbeille, et dans l’espèce de petit puits formé par la rencontre de ces ouvertures, qui répondent toutes à l’axe du tonneau, on y suspend un thermomètre bien gradué ; on en place d’autres en différents points de la circonférence, on entretient partout la chaleur au degré requis, et on a des poulets.

On peut aussi, en économisant la chaleur et tirant parti de celle qu’ordinairement on laisse perdre, employer à l’incubation artificielle celle des fours de pâtissiers et de boulangers, celle des forges et des verreries, celle même d’un poêle ou d’une plaque de cheminée, en se souvenant toujours que le succès de la couvée est attaché principalement à une juste distribution de la chaleur, et à l’exclusion de toute humidité.

Lorsque les fournées sont considérables et qu’elles vont bien, elles produisent des milliers de poulets à la fois ; et cette abondance même ne serait pas sans inconvénient dans un climat comme le nôtre, si l’on n’eût trouvé moyen de se passer de poule pour élever les poulets, comme on savait s’en passer pour les faire éclore ; et ces moyens se réduisent à une imitation plus ou moins parfaite des procédés de la poule lorsque ses poussins sont éclos[NdÉ 1].

On juge bien que cette mère qui a montré tant d’ardeur pour couver, qui a couvé avec tant d’assiduité, qui a soigné avec tant d’intérêt des embryons qui n’existaient point encore pour elle, ne se refroidit pas lorsque ses poussins sont éclos ; son attachement, fortifié par la vue de ces petits êtres qui lui doivent la naissance, s’accroît encore tous les jours par les nouveaux soins qu’exige leur faiblesse : sans cesse occupée d’eux, elle ne cherche de la nourriture que pour eux ; si elle n’en trouve point, elle gratte la terre avec ses ongles pour lui arracher les aliments qu’elle recèle dans son sein, et elle s’en prive en leur faveur ; elle les rappelle lorsqu’ils s’égarent, les met sous ses ailes à l’abri des intempéries et les couve une seconde fois ; elle se livre à ces tendres soins avec tant d’ardeur et de souci que sa constitution en est sensiblement altérée, et qu’il est facile de distinguer de toute autre poule une mère qui mène ses petits, soit à ses plumes hérissées et à ses ailes traînantes, soit au son enroué de sa voix et à ses différentes inflexions toutes expressives, et ayant toutes une forte empreinte de sollicitude et d’affection maternelle.

Mais si elle s’oublie elle-même pour conserver ses petits, elle s’expose à tout pour les défendre : paraît-il un épervier dans l’air, cette mère si faible, si timide, et qui en toute autre circonstance chercherait son salut dans la fuite, devient intrépide par tendresse, elle s’élance au-devant de la serre redoutable, et par ses cris redoublés, ses battements d’ailes et son audace, elle en impose souvent à l’oiseau carnassier, qui, rebuté d’une résistance

  1. Depuis l’époque de Buffon, les procédés d’incubation artificielle ont fait de très grands progrès.