Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/75

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dure, les plumes rudes[1], l’attitude fière et droite, les mouvements brusques et le vol très rapide. C’est de tous les oiseaux celui qui s’élève le plus haut[NdÉ 1], et c’est par cette raison que les anciens ont appelé l’aigle l’oiseau céleste, et qu’ils le regardaient dans les augures comme le messager de Jupiter. Il voit par excellence, mais il n’a que peu d’odorat en comparaison du vautour ; il ne chasse donc qu’à vue ; et, lorsqu’il a saisi sa proie, il rabat son vol comme pour en éprouver le poids, et la pose à terre avant de l’emporter. Quoiqu’il ait l’aile très forte, comme il a peu de souplesse dans les jambes, il a quelque peine à s’élever de terre, surtout lorsqu’il est chargé ; il emporte aisément les oies, les grues ; il enlève aussi les lièvres et même les petits agneaux, les chevreaux ; et, lorsqu’il attaque les faons et les veaux, c’est pour se rassasier, sur le lieu, de leur sang et de leur chair, et en emporter ensuite les lambeaux dans son aire ; c’est ainsi qu’on appelle son nid, qui est en effet tout plat et non pas creux comme celui de la plupart des autres oiseaux ; il le place ordinairement entre deux rochers dans un lieu sec et inaccessible. On assure que le même nid sert à l’aigle pendant toute sa vie ; c’est réellement un ouvrage assez considérable pour n’être fait qu’une fois et assez solide pour durer longtemps ; il est construit à peu près comme un plancher avec de petites perches ou bâtons de cinq ou six pieds de longueur, appuyés par les deux bouts et traversés par des branches souples recouvertes de plusieurs lits de joncs et de bruyères : ce plancher ou ce nid est large de plusieurs pieds et assez ferme non seulement pour soutenir l’aigle, sa femelle et ses petits, mais pour supporter encore le poids d’une grande quantité de vivres ; il n’est point couvert par le haut et n’est abrité que par l’avancement des parties supérieures du rocher. La femelle dépose ses œufs dans le milieu de cette aire ; elle n’en pond que deux ou trois qu’elle couve, dit-on, pendant trente jours ; mais dans ces œufs il s’en trouve souvent d’inféconds, et il est rare de trouver trois aiglons dans un nid[2] : ordinairement il n’y en a qu’un ou deux. On prétend même que dès qu’ils deviennent un peu grands la mère tue le plus faible ou le plus vorace de ses petits ; la disette seule peut produire ce sentiment dénaturé : les père

  1. On prétend que les plumes de l’aigle sont si rudes que, quand on les mêle avec des plumes d’autres oiseaux, elles les usent par le frottement.
  2. Un ami m’a assuré avoir trouvé en Auvergne un nid d’aigle, suspendu entre deux rochers, où il y avait trois aiglons déjà forts. Ornith. de Salerne, p. 4. — Nota. M. Salerne ne rapporte ce fait que pour appuyer l’opinion qu’il a adoptée de M. Linnæus, que cet aigle produit quatre œufs ; mais je ne trouve pas que M. Linnæus ait affirmé ce fait particulièrement, et ce n’est qu’en général qu’il a dit que les oiseaux de proie produisaient environ quatre œufs. Accipitres, nidus in altis, ova circiter quatuor. Linn. Syst. nat., édit. X, t. I, p. 81. Il est donc très probable que cet aigle d’Auvergne, qui avait produit trois aiglons, n’était pas de l’espèce du grand aigle, mais de celle du petit aigle ou du balbuzard, dont la ponte est en effet de trois ou quatre œufs.
  1. Il faut en excepter le Condor (Sarcoramphus Gryphus Geoff.) des Andes, qui s’élève à des hauteurs plus considérables encore.