Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome VI.djvu/21

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jettent aux vignes, elles se retirent habituellement dans les taillis voisins le soir et dans le chaud du jour, en sorte que, pour faire de bonnes chasses, il faut choisir son temps, c’est-à-dire le matin à la sortie, le soir à la rentrée, et encore à l’heure de la journée où la chaleur est la plus forte. Quelquefois elles s’enivrent à manger des raisins mûrs, et c’est alors que tous les pièges sont bons.

Willughby, qui nous apprend que cette espèce niche en Angleterre et qu’elle y passe toute l’année, ajoute que sa chair est d’un goût excellent ; mais en général la qualité du gibier dépend beaucoup de sa nourriture : celle de notre grive, en automne, consiste dans les baies, la faîne, les raisins, les figues, la graine de lierre, le genièvre, l’alise et plusieurs autres fruits. On ne sait pas si bien de quoi elle subsiste au printemps ; on la trouve alors le plus communément à terre dans les bois, aux endroits humides et le long des buissons qui bordent les prairies où l’eau s’est répandue : on pourrait croire qu’elle cherche les vers de terre, les limaces, etc. S’il survient au printemps de fortes gelées, les grives, au lieu de quitter le pays et de passer dans les climats plus doux dont elles savent le chemin, se retirent vers les fontaines, où elles maigrissent et deviennent étiques ; il en périt même un grand nombre si ces secondes gelées durent trop : d’où l’on pourrait conclure que le froid n’est point la cause, du moins la seule cause déterminante de leurs migrations, mais que leur route est tracée indépendamment des températures de l’atmosphère, et qu’elles ont chaque année un certain cercle à parcourir dans un certain espace de temps. On dit que les pommes de Grenade sont un poison pour elles. Dans le Bugey, on recherche les nids de ces grives, ou plutôt leurs petits, dont on fait de fort bon mets.

Je croirais que cette espèce n’était point connue des anciens, car Aristote n’en compte que trois toutes différentes de celle-ci[1], et dont il sera question dans les articles suivants : et l’on ne peut dire non plus, ce me semble, que Pline l’ait eue en vue en parlant de l’espèce nouvelle qui parut en Italie dans le temps de la guerre entre Othon et Vitellius ; car cet oiseau était presque de la grosseur du pigeon[2], et par conséquent quatre fois plus gros que la grive proprement dite, qui ne pèse que trois onces.

J’ai observé dans une de ces grives, que j’ai eue quelque temps vivante, que, lorsqu’elle était en colère, elle faisait craquer son bec et mordait à vide. J’ai aussi remarqué que son bec supérieur était mobile, quoique beaucoup moins que l’inférieur. Ajoutez à cela que cette espèce a la queue un peu fourchue, ce que la figure n’indique pas assez clairement.


  1. Historia animalium, lib. ix, cap. xx.
  2. Pline, lib. x, cap. xlix.