Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome VI.djvu/233

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tiennent son boire et son manger ; mais pour lui apprendre ce dernier exercice il faut savoir l’habiller. Son habillement consiste dans une petite bande de cuir doux de deux lignes de large, percée de quatre trous, par lesquels on fait passer les ailes et les pieds, et dont les deux bouts, se rejoignant sous le ventre, sont maintenus par un anneau auquel s’attache la chaîne du petit galérien. Dans la solitude où il se trouve, il prend plaisir à se regarder dans le miroir de sa galère, croyant voir un autre oiseau de son espèce ; et ce besoin de société paraît chez lui aller de front avec ceux de première nécessité : on le voit souvent prendre son chènevis grain à grain et l’aller manger au miroir, croyant sans doute le manger en compagnie.

Pour réussir dans l’éducation des chardonnerets, il faut les séparer et les élever seul à seul, ou tout au plus avec la femelle qu’on destine à chacun.

Mme Daubenton la jeune ayant élevé une nichée entière, les jeunes chardonnerets n’ont été familiers que jusqu’à un certain âge, et ils sont devenus avec le temps presque aussi sauvages que ceux qui ont été élevés en pleine campagne par les père et mère ; cela est dans la nature, la société de l’homme ne peut être, n’est en effet que leur pis aller, et ils doivent y renoncer dès qu’ils trouvent une autre société qui leur convient davantage ; mais ce n’est point là le seul inconvénient de l’éducation commune ; ces oiseaux, accoutumés à vivre ensemble, prennent un attachement réciproque les uns pour les autres, et lorsqu’on les sépare pour les apparier avec une femelle canari, ils font mal les fonctions qu’on exige d’eux, ayant le regret dans le cœur, et ils finissent ordinairement par mourir de chagrin[1].

L’automne, les chardonnerets commencent à se rassembler ; on en prend beaucoup en cette saison parmi les oiseaux de passage qui fourragent alors les jardins ; leur vivacité naturelle les précipite dans tous les pièges, mais pour faire de bonnes chasses il faut avoir un mâle qui soit bien en train de chanter. Au reste, ils ne se prennent point à la pipée, et ils savent échapper à l’oiseau de proie en se réfugiant dans les buissons. L’hiver ils vont par troupes fort nombreuses, au point que l’on peut en tuer sept ou huit d’un seul coup de fusil ; ils s’approchent des grands chemins, à portée des lieux où croissent les chardons, la chicorée sauvage ; ils savent fort bien en éplucher la graine, ainsi que les nids de chenilles, en faisant tomber la neige : en Provence, ils se réunissent en grand nombre sur les amandiers. Lorsque le froid est rigoureux, ils se cachent dans les buissons fourrés, et toujours à portée de la nourriture qui leur convient. On donne communément du chènevis à ceux que l’on tient en cage[2]. Ils vivent fort longtemps ;

  1. De cinq chardonnerets élevés ensemble dans la volière de madame Daubenton la jeune, et appariés avec des serines, trois n’ont rien fait du tout : les deux autres ont couvert leur serine, lui ont donné la béquée, mais ensuite ils ont cassé ses œufs et sont morts bientôt après.
  2. Quoiqu’il soit vrai, en général, que les granivores vivent de grain, il n’est pas moins